La mission d'information de l'ONG Human Rights Watch (HRW) s'est entretenue, hier matin, avec des membres de la Coordination nationale des familles de disparus (CNFD), dernière née des associations de défense des familles de victimes de disparitions forcées. Le chef de mission, Eric Goldstein, a réitéré « la disposition de la délégation à rencontrer toutes les organisations ; la mission n'a pas de listes arrêtées ». Non agréée par le ministère de l'Intérieur, comme c'est le cas des autres organisations représentant les familles de disparus ou de victimes du terrorisme, la CNFD a été constituée en mai 2005. Comme les autres associations de familles de victimes, la coordination est interdite de manifestation publique et semble ne pas bénéficier du statut d'interlocuteur face aux autorités. Dans un communiqué rendu public hier, la CNFD a rappelé au Président Abdelaziz Bouteflika « ses engagements envers la nation pour faire revenir la paix et la justice et apaiser la douleur des milliers de foyers frappés par la disparition cruelle des leurs ». Des représentants des familles de disparus d'Alger, de Constantine, d'Oran et de Relizane notamment ont demandé au chef de l'Etat d'apporter ses réponses sur le dossier des disparitions forcées. Le 31 mars 2005, le comité ad hoc sur la question a remis son rapport au Président. « Il est le seul à décider du moment de le rendre public », a indiqué une source officielle. Sans plus de détails. La CNFD refuse, selon ses animateurs, de singulariser la quête de vérité et de justice. « Nous, familles des disparus, sommes déterminées à ce que le travail de vérité ne nous concerne pas uniquement, en tant que victimes, mais toute la nation », lit-on dans le communiqué. Malgré les divergences, les associations de familles de disparus s'accordent à douter d'une démarche officielle empreinte de contradictions. D'abord, le comité ad hoc installé par Bouteflika en 2003 a conclu à la responsabilité individuelle des agents de l'Etat dans des cas de disparition en avançant la théorie de l'interruption de la chaîne de commandement lors du violent déchaînement de la violence et de la contre-violence. La démarche est qualifiée de curieuse par des militants des droits de l'homme : apporter de telles conclusions alors que le comité ad hoc, selon les termes même du décret qui l'a créé, n'est pas une commission d'enquête, mais une instance d'interface entre les familles concernées et les autorités. Autre contradiction relevée par la mission d'Amnesty International en visite à Alger en mai 2005 : le ministère de la Justice, pour sa part, refuse toute idée d'implication de l'Etat, même au niveau individuel. A ces contradictions s'ajoutent le risque de voir se perpétuer, même avec moins de régularité que la période 1994-1997, les cas de disparitions forcées. Les lois d'exception, les modalités de l'état d'urgence et des articles du code pénal et du code militaire rendraient difficile la reconstitution du schéma organisationnel des opérations dites de maintien de l'ordre. Pour exemple, la CNFD exige dans une plateforme de revendications « l'abrogation des dispositions du code de justice militaire et du code de procédure pénale qui donnent aux officiers de ‘police judiciaire' compétence sur toute l'étendue du territoire national, prérogative étendue aux agents des services de sécurité militaire (...). Le crime de disparition forcée a été rendu possible par ce texte, donnant pouvoir à des agents de procéder aux enlèvements de citoyens de leurs domiciles, en plein couvre-feu, de leurs lieux de travail et même des commissariats de police et des brigades de gendarmerie où des citoyens sont officiellement convoqués ». Les autorités n'ont pas réagi à cette plateforme rendue publique en mars 2005. A signaler enfin que des membres de la mission de HRW sont à Oran pour suivre le déroulement du procès, ouvert hier, d'Ahmed Benaoum, président-directeur général du groupe de presse Erraï El Am, en prison depuis le 28 juillet 2004.