Eugène Delacroix était un curieux mélange de scepticisme, de politesse, de dandysme, de volonté, de ruse, de despotisme, et enfin d'une espèce de bonté particulière et de tendresse modérée qui accompagne souvent le génie. « Il était passionnément amoureux de la passion », écrivait Baudelaire au sujet de ce peintre qui s'enflammait pour toutes les causes justes ou injustes, avec la même fougue et la même sincérité ainsi il était un farouche partisan de la conquête coloniale de l'Algérie aussi bien que de la révolution de 1848. Versatile, homme de parti pris, beaucoup espion, un peu diplomate et immense peintre devant Dieu. Eugène Delacroix avait une imagination extraordinaire et extravagante et il peignait souvent les grandes batailles de l'époque, les paysages des pays lointains, les sites de la Préhistoire, sans quitter son atelier du Quai Voltaire à Paris. Il partageait les convictions et la morale de la société bourgeoise dans laquelle il vivait et était malgré tout profondément réactionnaire. Sa rigueur, ou plutôt sa rigosité l'induisait à une certaine sécheresse qui le gavait d'une morale étroite et méprisante. Un morale froide, calculatrice et roublarde, mais qui porte la marque d'une santé fragile et d'un tempérament anxieux et mélancolique. Eugène Delacroix passait d'une période d'exaltation euphorique (d'où son adhésion à la révolution de 1848, alors qu'il avait une haine féroce pour tout ce qui était nouveau, révolutionnaire ou anticonformiste), à une période de dépression capable de l'enfermer dans une démence précoce qui nécessitait son hospitalisation pendant de longues périodes. Tout en étant politiquement et psychologiquement instable, il vouait un culte à Voltaire et était obsédé par l'héritage de la civilisation occidentale qu'il croyait menacée ! Il n'était pas à un paradoxe près. Mythomane et mythomaniaque, il allait faire de ces deux défauts une vertu qui le portait à travailler avec acharnement et avec beaucoup de brio. C'est ainsi qu'il peignit Les Massacres de Scio (1858), La Mort de Sardanapale (1827), La Bataille de Nancy (1831), La Prise de Constantinople par les croisés (1840), Attila et les Barbares (1850)... L'ennemi, c'était l'autre : l'Ottoman, le musulman déjà ! L'histoire ne fait que se répéter, avec quelques variantes, mais toujours la même constance : la peur de l'autre. En 1831, il obtient (on ne voulait pas de lui, mais il avait ses entrées dans le pouvoir de l'époque) de faire partie de la mission envoyée par le gouvernement français auprès du sultan du Maroc, pour obtenir sa complicité et son silence au sujet de l'invasion de l'Algérie par l'armée française. La mission échoua, mais Eugène Delacroix, versatile qu'il était, va rester au Maroc qui l'éblouit. Il va y demeurer durant six mois. Tout en peignant avec frénésie, il s'occupe aussi de faire l'agent des renseignements généraux. C'est là qu'il va réaliser les plans et les croquis pour l'armée française. Il fera le va-et-vient entre la France et le Maroc durant plusieurs années. C'est ainsi qu'il peindra ses tableaux dits de la période marocaine : Marocain assis en fumant (1831), Marocain et son enfant (1833), Fantasia arabe (1834) Exercices de soldats marocains (1832), Noce juive à Salé (1834). Du Maroc, Eugène Delacroix décide de visiter l'Algérie que l'armée française est en train de conquérir. Il y séjourna trois jours. Trois jours seulement ! du 25 au 28 juin 1832. Du point de vue iconograghique, ce court voyage va lui permettre de collecter un répertoire qu'il utilisera sa vie durant. Tout en vivant à Paris, Delacroix deviendra le peintre officiel de la conquête de l'Algérie, grâce à ses croquis réalisés à la hâte en trois jours. « Mais, c'est aussi grâce à ce très court voyage que naîtra son intérêt pour l'étude des effets naturels de la lumière et de la couleur », écrira à ce sujet Georgel, son meilleur biographe. En 1834, Eugène Delacroix écrira dans son journal : « J'ai eu l'immense chance de visiter un harem à Alger. C'est beau ! c'est comme au temps d'Homère ! La femme dans le gynécée s'occupant des enfants, filant la laine ou brodant de merveilleux tissus. C'est la femme comme je la comprends. » Et en 1834, aussi, il envoie au salon de Paris Les femmes d'Alger dans leur appartement. (A suivre)