Cela s'appelle un effet d'annonce atténué. « La campagne électorale pour les locales et les législatives (prévues en 2007) est lancée aujourd'hui d'Alger », a déclaré, jeudi dernier, Miloud Chorfi, porte-parole du RND, aux militants de la capitale réunis à la salle Ibn Khaldoun. Applaudissements. Stupéfaction chez certains étonnés d'une annonce légalement prématurée. Une tirade non inscrite dans son discours écrit de 10 pages qu'il porte dans une chemise cartonnée aux armoiries des services du chef du gouvernement. Le coup est rattrapé par Sedik Chihab, membre du bureau national chargé de la wilaya d'Alger, vice-président du Sénat, qui succède à Chorfi à la tribune. « Nous sommes encore loin. Chorfi a voulu dire qu'il donnait le coup d'envoi de la mobilisation. Ne comprenez pas que nous allons mener une campagne électorale avant l'heure, comme le font certains », rectifie-t-il sous le double regard du chef de l'Etat et du chef du gouvernement et patron du RND figés sur des affiches encadrant la scène. En 2007, le RND aura bouclé dix ans d'existence. Le fils coléreux du vieux parti tente de reconquérir le terrain perdu lors des élections de 2002 remportées par le FLN. Nous sommes certains de reprendre ce qui nous a été spolié en 2002 par des moyens douteux », promet Chiheb. La tactique apparente du RND semble articulée autour de plusieurs offensives. D'abord, tirer à boulets rouges sur ses propres partenaires de l'Alliance présidentielle, soutenir la réconciliation nationale avec des réserves polies sur l'idée d'amnistie générale et, enfin, défendre le bilan d'Ahmed Ouyahia, chef du septième gouvernement depuis 1999. Le tout en se réjouissant de « l'atmosphère démocratique » où se déroulent des « événements normaux ». L'interdiction des manifestations publiques, de réunions, le gel des agréments de partis ou de journaux ne sont pas évoqués. Par contre, l'attaque contre les alliés du bloc présidentiel est franche. « Nous regrettons que des partis membres de l'Alliance tente de prouver leur existence en soulevant de faux problèmes », dit Chiheb sans que les deux orateurs mentionnent le FLN ou le MSP. Pourtant, Chiheb nuance : « Les partis de l'Alliance n'ont pas de divergences de fond. » « A l'intérieur de l'Alliance, notre parti défendra des objectifs supérieurs face à ceux qui sont marqués par l'échec politique », soutient Chorfi assurant que le RND ne souffre pas de « l'égoïsme ». Il affirme que la polémique née autour du transfert des sciences islamiques du lycée vers l'université, « une tempête dans un verre d'eau » selon lui, est provoquée par « ceux qui ne veulent pas du bien au pays ». « Bloquer les réformes globales menées par le gouvernement en application du programme du Président » serait, selon Chorfi, l'objectif des détracteurs, le MSP en l'occurrence. Il a appelé à la poursuite des réformes de l'éducation, menées par le ministre RND Boubekeur Benbouzid. « Je doute de l'engagement de certains alliés à appliquer le programme du Président », lâche le sénateur Chiheb. « Personne ne doit nous donner des leçons en matière d'Islam, sauf si c'est pour eux un terreau facile pour la mobilisation », ajoute-t-il. Revenant sur le souhait du MSP d'affronter les prochaines élections par des listes communes, Chiheb s'y oppose : « Cela n'apportera pas de valeur ajoutée à l'Alliance. Le but de cette dernière est de concrétiser le programme du Président. » Et de virer le canon vers les positions FLN dont le secrétaire général a évoqué la révision de la Constitution et la protection des élus face à l'opération dite « mains propres ». « Est-ce le moment opportun pour réviser la Constitution ? Il faut que le pays soit sorti de la crise, que la classe politique se mobilise pour appliquer le programme du Président. Quand le ventre est rassasié, la tête peut chanter », réplique Chiheb. Il charge le vieux parti : « A chaque avancée, ils tirent le frein à main. Vieille technique appliquée depuis 1962. On lance un doute et le peuple réagit par la prudence : ‘'arrêtez tout !'' Les gens sont manipulables. » « Ils évoquent le problème des élus. Pendant 40 ans qu'ils gouvernent, il n'y avait pas de problèmes. Pourquoi aujourd'hui ? Quand le RND subissait le feu, ils n'ont pas dit arrêter la campagne ! », lance l'ancien maire de Kouba à Alger. « Ils se sont habitués à la pensée unique, à l'autocratie et au monopole politique. Ils n'ont pas compris le sens d'une alliance. (...) Nous n'avons pas de dinosaures au RND ni de complexes », ajoute le vice-président du Sénat. A ses yeux, la « moralisation de la vie publique » est une exigence populaire. « Nos élus en ont souffert par le passé, souvent à tort, mais nous avons marché sur la braise sans un mot », ajoute le vice-président du Sénat en sueur. Un cadre du parti, contacté hier, résume l'attitude des partenaires politiques dans l'Alliance : « Quand ça vient de Bouteflika, les deux autres partis disent oui. Quand c'est d'Ouyahia, ils disent non. Pourtant, Ouyahia ne fait qu'appliquer la politique de Bouteflika. » « Nous soutenons l'Alliance, mais pas question qu'on prépare le pain et qu'ils mangent seuls », lâche Seddik Chiheb. Quelques tirades plus loin, Chorfi revient sur l'adhésion du RND à la réconciliation nationale qu'il qualifie de « globale ». Il rappelle d'un côté le soutien du RND à la concorde civile et salue de l'autre le « combat » de l'ANP et des différents corps citant dans l'ordre les GLD, la police communale et les résistants. « Cette réconciliation restera inefficace sans être accompagnée des réformes de l'éducation, de la justice et de l'économie », dit-il refusant « toutes surenchères et calculs » autour de cette question. « Nous voulons une réconciliation production nationale, pas une réconciliation importée », poursuit-il. « Nous traitons avec les ONG des droits de l'homme de manière civilisée (...) mais nous refusons qu'on nous dicte notre conduite », souligne Seddik Chiheb. Human Rights Watch, qui vient de terminer sa mission d'information en Algérie, a prévenu contre un processus d'amnistie qui garantit l'impunité vu l'expérience de la concorde civile et de la « grâce amnistiante » dont le bilan n'a pas été fait. La formule « amnistie générale » n'est pas prononcée ce jeudi. Chiheb l'évoque en aparté avec la presse : « On y adhérera lorsque ce concept sera plus clairement exprimé. » A ses yeux, la réconciliation ne doit pas signifier « l'abdication devant les terroristes, le pardon aux harkis ou l'amnistie fiscale ». Il conditionne la réconciliation par la poursuite de la lutte antiterroriste. Ouyahia a, lors de l'université du RND à Constantine en août 2004, exclu la possibilité que la réconciliation nationale débouche sur une amnistie générale. Jeudi dernier, Chorfi se félicite des réalisations du gouvernement Ouyahia, notamment le dialogue avec les ârchs de Kabylie. Il rappelle que ce n'est là que l'application du programme du chef de l'Etat. Interrogé sur l'annulation de la visite d'Ouyahia au Maroc, Chiheb exprime son « étonnement ». « Nos frères Marocains ont cru que la relance des relations bilatérales signifiait un abandon de la cause sahraouie. Notre soutien au peuple sahraoui est une constante nationale. Nous aspirons à construire l'Union du Maghreb arabe, mais pas sur le dos d'un peuple », dit-il.