Djamel Aïdouni a vidé son sac, hier, à la cour d'Alger. Le président du Syndicat des magistrats a lancé des fléchettes empoisonnées à l'endroit de la corporation des avocats, en premier lieu Mustapha Farouk Ksentini, président de la Commission nationale consultative pour la promotion et la protection des droits de l'homme (CNCPPDH). Human Rights Watch (HRW), ONG internationale basée à New York (Etats-Unis), n'a pas été, elle aussi, ménagée. Assis à la place du président d'audience à la cour pénale d'Alger - qui venait de condamner une personne âgée de 31 ans à 5 ans de prison ferme pour avoir chapardé des objets de valeur - et entouré de ses assistants, M. Aïdouni, qui a succédé à Ras El Aïn - révoqué de son poste en février 2004 -, a accusé les avocats d'avoir déformé la réalité de l'appareil judiciaire algérien à travers leurs constats livrés aux ONG internationales. « Human Rights Watch a livré un constat à sens unique qui reflète une seule vision, celle des avocats. Cette ONG nous a rencontrés après avoir animé une conférence de presse », observe-t-il. Pour lui, HRW devait entendre les deux parties (avocats et magistrats) avant d'établir son rapport. « Elle n'a pas fait cela », regrette-t-il, ajoutant que cela « n'est pas professionnel ». M. Aïdouni accuse ainsi HRW d'avoir menti et tronqué la réalité. « Tout ce qu'elle a dit est faux », clame-t-il. HRW a déclaré, rappelle-t-on, lors de sa conférence de presse le 22 juin dernier, que « des magistrats ont prononcé des jugements prédéfinis », souvent « sur la base de dossiers vides ». Et qu'ils n'ont pas enquêté sur les cas de torture avérés en Algérie. Cette ONG internationale a également dénoncé le recours « abusif » des juges à la « détention provisoire à des fins politiques ». Poursuivant sa tirade, M. Aïdouni a jugé nécessaire de répondre avec un ton acéré. Pour lui, cette ONG a (re)dit ce qu'elle a appris de la bouche de certains avocats, réduisant un peu sa culpabilité. « Ce sont eux (certains avocats) qui sont responsables. Ils sont connus », précise-t-il. Le président du syndicat des magistrats a ensuite descendu en flammes Farouk Ksentini, chargé de tous les maux des familles des disparus. « Nous avons 5000 dossiers de disparus au niveau de la justice. Certains ont été examinés, d'autres en cours. Des non-lieux ont été prononcés dans la majorité des affaires. Il y a aussi des enquêtes qui ont été ouvertes sur d'autres », observe-t-il. Selon lui, il n'y a pas d'éléments matériels prouvant la culpabilité des personnes accusées. « Nous sommes des magistrats et nous ne pouvons pas jeter des gens en prison parce qu'on dit qu'ils sont impliqués dans la disparition de personnes », explique-t-il, avant d'ajouter que la CNCPPDH est chargée d'enquêter et de ramener des dossiers de disparus devant la justice. « Où sont ces dossiers ? Qu'est-ce qu'a fait le président de la commission ad hoc ? », s'interroge-t-il au passage. « S'il a des dossiers, qu'il les ramène », ajoute-t-il. M. Aïdouni considère que Farouk Ksentini a échoué dans sa mission qu'il croit être celle d'enquêter sur les disparitions. Il poursuit en qualifiant Ksentini d'« incompétent pour accomplir la mission qui lui a été dévolue ». Le président du syndicat des magistrats défie ainsi Ksentini de ramener des dossiers dans lesquels sont impliqués les agents des services de sécurité et de les présenter à la justice. Il considère qu'il y a une « dérive et des accusations graves ». Ainsi, il met en garde à la fois Farouk Ksentini et les autres avocats quant à de « nouveaux dérapages et des offenses aux magistrats » de ce genre en menaçant de prendre la prochaine fois « les mesures nécessaires en temps opportun ». Le syndicat des magistrats a également interpellé le président de la République « en sa qualité de premier magistrat du pays » pour prendre « des mesures contre ces personnes, surtout le président de la CNCPPDH ». Car « nous sommes touchés dans notre dignité par ces gens-là. Ils sont allés plus loin dans leur entreprise en donnant des copies des PV des juges d'instruction qui sont tenus au secret de la profession. C'est inadmissible ! ». Au sujet des « mandats de dépôt abusifs », M. Aïdouni estime que cela dépend de l'appréciation du juge d'instruction. Il trouve ainsi qu'il y a « des juges sévères et d'autres indulgents, (c'est selon) ». Il reconnaît même que les magistrats travaillent avec « pitié » et essaient d'être modérés dans leurs jugements. Abordant la « détention provisoire, devenue la règle et non l'exception (selon HRW) », M. Aïdouni relève un taux de 8,9% de cas avérés sur les quelque 45 000 détenus. « Nous avons moins de cas que la France », s'enorgueillit-il. Répondant sur le cas de Benaoum, directeur du journal Erraï qui a été mis en détention provisoire durant 11 mois avant qu'il ne soit acquitté, le président du syndicat des magistrats répond en disant que ce dernier n'est pas le seul. « Nous avons beaucoup de cas comme celui-ci. C'est ça la justice. Il y a des procédures et des textes de loi. Nous ne faisons que les appliquer », précise-t-il. A propos du jugement par contumace de Amari Saïfi, alias Abderzak El Para, n°2 du GSPC (organisation terroriste), M. Aïdouni indique que le jugement prononcé était dans son affaire enrôlée alors qu'il était en fuite. « Il faut refaire l'instruction dès le début pour qu'il passe en audience. C'est une question de procédures », souligne-t-il. Quant à l'affaire Khalifa, il trouve que son instruction avance « à des pas lents ». Au chapitre de la liberté de la presse, « les journaux - la majorité - déforment notre travail et ternissent notre image ». Ainsi, il invite les journalistes de la presse écrite à plus d'objectivité dans le traitement des sujets, tout en affichant le soutien du syndicat des magistrats à la liberté de la presse. Il appelle, au passage, la presse écrite à soutenir les magistrats dans leurs missions à même d'arriver à plus d'indépendance. Pour lui, « il n'y a presque pas de journalistes en prison ». Il reconnaît que beaucoup de journalistes sont poursuivis en justice, mais se réjouit du fait que ces journalistes ont toujours bénéficié de condamnations avec sursis. « Ils ont même accumulé deux condamnations avec sursis sans qu'ils soient emprisonnés. Je pense que les juges ont un peu de compassion pour les journalistes », estime-t-il, rejetant le bilan sombre de la liberté de la presse en Algérie établi par les ONG internationales, notamment HRW et Amnesty International.