Répondant aux propos tenus par Djamel Aïdouni, président du SNM, Me Farouk Ksentini a été extrêmement virulent, hier, à l'endroit des magistrats à l'hôtel Hilton, à l'occasion d'un séminaire sur les droits de l'Homme organisé par la CNCPPDH. Répondant, en effet, aux accusations de Aïdouni selon lesquelles il aurait terni l'image des magistrats auprès de Human Rights Watch, l'ONG américaine de défense des droits de l'Homme qu'il a reçue au siège de sa commission, la Commission nationale consultative de promotion et de protection des droits de l'Homme (CNCPPDH), Me Farouk Ksentini a d'entrée martelé que “c'est une accusation gratuite”. “Qu'est-ce qu'il en sait ?” s'est interrogé Me Ksentini avant de préciser que la rencontre qu'il a tenue avec la délégation de Human Rights Watch “est une réunion officielle sanctionnée par un PV”. “Je peux vous montrer le PV qu'on a établi et dans lequel nous avons consigné les sujets que nous avons débattus. Nous avons parlé de justice en général et nous n'avons pas parlé de magistrats en particulier”, expliquera-t-il. “Nous avons parlé de la justice et j'ai dit et je redis que l'Algérie est un espace judiciaire incertain, parce que les décisions de justice sont généralement de mauvaise qualité”. Pour étayer ses propos, Me Ksentini s'appuie sur les raisons qui empêchent les investisseurs étrangers de venir en Algérie. “Les investisseurs étrangers évitent de venir en Algérie parce que les formalités auxquelles ils sont astreints représentent un ouvrage de 400 à 500 pages, et en plus ils sont incertains de l'espace juridique algérien en ce sens qu'en cas de conflits, ils ne sont pas satisfaits des tribunaux algériens qui sont lents pour rendre justice et qui souvent ne la rendent pas de façon très correcte”. Il citera à ce propos les Marocains qui, dit-il, “pour attirer les investisseurs étrangers ont institué des juridictions spéciales équipées en magistrats qui rendent les jugements de qualité et dans des délais raisonnables”. L'intervenant affirmera dans le même temps qu'il a assuré la délégation de HRW de l'amélioration des choses avec la réforme de la justice. “Il n'y a qu'une justice de meilleure qualité qui attirera les investisseurs”, note-t-il. “Mais qu'est-ce qu'il (Aïdouni) sait des entretiens que j'ai eus avec l'ONG américaine ? Il était avec nous ?” s'est de nouveau interrogé Ksentini. Précisant qu'il “a beaucoup de respect pour les magistrats” et qu'il “ne les a jamais traînés dans la boue”, le président du mécanisme ad hoc sur la question des disparus indiquera : “J'ai seulement dénoncé une pratique abusive qui est celle de la détention préventive.” “Quel rapport existe-t-il entre mes propos et l'honneur des magistrats ?” se demande-t-il avant de répondre : “Rien du tout !” De plus, la question de la détention préventive est un point de droit “que j'ai le droit de le discuter”, ajoutera l'orateur. Aussi sur la question des disparus, Me Ksentini affirmera-t-il sur un ton ferme : “Je lui (Aïdouni) récuse tout droit de s'exprimer sur la question des disparus” avant d'asséner des critiques acerbes à l'endroit de Aïdouni : “Lui en tant que syndicaliste n'a pas à se mêler d'une telle question. Son rôle est de défendre les intérêts professionnels des magistrats, et cette fonction n'a rien à voir avec la détention préventive.” “Elle échappe à son rôle, au cercle de sa compétence et il n'est pas habilité à me donner son avis.” “Qu'est-ce qu'il est ? C'est un petit conseiller à la cour d'Alger, pas plus”. Aussi de l'avis de Me Ksentini, le président du Syndicat national des magistrats “n'honore pas les magistrats”. Son argument est qu'il “a utilisé avec moi le langage de la violence en proférant contre moi des menaces”. “Où allons-nous avec ces comportements ?” s'interrogera à nouveau Ksentini avant de se désoler que “ce sont ces gens-là qui refusent que la justice s'améliore, que notre société s'ouvre”. Quant aux motivations de Aïdouni, il suggère que “c'est corporatiste et démagogique. Il a incriminé les magistrats pour les innocenter”, commente-t-il. Interrogé par les journalistes sur le verdict prononcé contre El-Para, Me Ksentini a affirmé qu'il “a été correctement jugé”. Expliquant que l'absence d'El-Para le jour du jugement est “normale”, Me Ksentini arguera qu'“un accusé peut refuser de se présenter au tribunal”. Pour le président du mécanisme ad hoc sur les disparus, “El-Para est détenu quelque part. Ils ne peuvent quand même pas laisser en liberté une personne aussi dangereuse que lui”. S'exprimant, par ailleurs, par rapport à la revendication de HRW selon laquelle les agents de l'Etat auteurs de dépassements sont passibles de justice, l'intervenant expliquera que “sur le terrain, il est difficile d'identifier les coupables de dépassement et même s'ils sont identifiés, ils bénéficieront de la présomption d'innocence”. Nadia MELLAL