D'abord un fait : à Skikda, Amal est comme un poisson dans l'eau. La symbiose qui se crée entre l'enfant et sa ville est si intense que « les chichis » qui nourrissent généralement les comportements d'artistes n'ont plus lieu d'être. A Skikda, Amal est surtout une enfant qui retrouve les siens. Sans aucune prétention ni faux semblant, elle s'est agréablement prêtée à une « djalsa » où s'entremêlaient un français impeccable et un jargon aux « chuintantes » bien skikdies. Vous voilà donc à Skikda, comment l'avez-vous retrouvée ? Je l'ai retrouvée comme on retrouve un être aimé. Ma relation avec ma ville natale a de tout temps été passionnelle. Je l'ai toujours clamé, je suis skikdia et j'en suis très fière. Vous savez, on ne peut pas naître à Skikda sans avoir cette sensibilité. Cette ville m'a donnée la vision de l'espace et la largesse de l'esprit, car, petite, quand je regardais par la fenêtre, je ne voyais que la mer. Une immensité. Au départ de ma carrière, j'avais beaucoup d'appréhensions quant à l'accueil qu'allaient me réserver les gens de ma ville, mais aujourd'hui je peux vous assurer que je suis vraiment comblée par l'amour qu'ils me témoignent. Quand on naît dans une petite ville, on est élevé aux couleurs d'un semblant de communautarisme qui fait que les gens sont plus regardants, plus affectueux et aussi plus avenants que les habitants des grandes villes. En plus, je n'ai jamais été en rupture avec ma ville. C'est vrai que mes obligations professionnelles m'empêchent de venir régulièrement, mais il m'arrive souvent de revenir dans un cadre familial. Vous semblez même garder cet accent bien local... Oui, d'ailleurs je ne vois pas pourquoi je devrais m'efforcer à parler autrement. Moi, je suis fière de cet accent. Il m'est arrivé de rencontrer plusieurs personnalités de diverses origines, que ce soit en Algérie, en France, au Qatar... et qui gardent leurs spécificités locales. Je ne nourrie aucun complexe à ce sujet. Au contraire, je ne fais aucun effort pour changer. Au départ, je pensais que parler son accent local ne faisait pas chic, mais croyez-moi, je me suis vite rendue à l'évidence que je devais plutôt en être fière. Vous savez, avec le temps, on mûrit... Vous sentez-vous plus mûre ? Oui... artistiquement et humainement. J'ai eu la chance de rencontrer des êtres exceptionnels. D'illustres politiciens, de grands journalistes, des artistes...Je les ai côtoyés et je les ai vu parler et évoquer leur vie de tous les jours, leurs espoirs...Tout cela m'a convaincu que la vie n'est pas facile. Pour la rendre plus agréable, il faut vraiment se munir de beaucoup d'amour. Si on n'est pas passionnés, on n'est rien. Et puis j'ai aussi appris à relativiser, je n'ai jamais eu la grosse tête et je m'oblige à bosser. Hier, lors du concert que vous avez donné au stade communal et avant de monter sur scène, le trac se lisait sur votre visage. Appréhendiez-vous la réaction du public ou était-ce un sentiment propre à tout artiste ? Je ne sais pas comment vous expliquer cela, mais c'est vrai j'ai eu le trac de ma vie. Le fait de chanter devant le public de ma propre ville y est certainement pour beaucoup. C'est comme un chirurgien qui opère l'un de ses proches. Il a beau être le meilleur, il appréhende la chose tout de même. Je ne voulais pas décevoir ces centaines de personnes venues me voir et m'écouter. Dieu merci, ça a très bien fonctionné. Le public a été très attentif, et je tiens à le remercier de m'avoir écoutée. Parlons un peu de vos projets... Je prépare un album pour 2006. Il inclura des chansons algériennes, d'autres en langue française et aussi quelques chansons au rythme oriental. L'album sera cependant imprégné de mon propre style. Vous savez, j'ai beaucoup travaillé artistiquement pour avoir mon propre style. J'entends préserver cet acquis et éviter de dévier. Dans la vie artistique, si vous ne vous distinguez pas par votre propre cachet, votre timbre et votre style, c'est que vous êtes comme les autres. Et que pense Amal de la déferlante actuelle qui caractérise la chanson orientale ? Je pense que la chanson orientale actuelle est beaucoup lésée par le mouvement médiatique qui est apparu ces dernières années. Plusieurs chaînes privées spécialisées ont émergé. Quelque part, c'est là un avantage pour nous les artistes que de pouvoir disposer de chaînes thématiques. Malheureusement, pour pouvoir remplir leurs programmes, certaines chaînes font passer n'importe quoi. Moi, je qualifie celles-là de cabaret télévisuel. D'ailleurs, c'est ce que nous subissons en Algérie par rapport à la chanson raï qui dispose d'une structure musicale magnifique mais qui est malheureusement lésée par les paroles. Pour les chansons orientales, ce sont en général de bonnes chansons, mais parfois les paroles ou la gestuelle minimise l'attrait artistique. Cette ouverture médiatique n'est qu'une mode. Le tri finira par se faire car la nature n'aime pas le vide. Mais ne pensez-vous pas que c'est la demande du public qui encourage ce genre de musiques ? Non, je ne crois pas. Le public n'est qu'un récepteur. Je vais vous dire autre chose, en Egypte par exemple, dans des milliers de cafés munis de télévision, on éteint souvent le son pour ne laisser que les images. Ils ne rallument le son que quand ils pensent avoir affaire à une bonne musique. Cela veut dire que les gens ne sont plus intéressés. Je pense que la musique est d'abord une culture. Vous permettez qu'on parle un peu de Fella... On s'est rencontré exponentiellement une ou deux fois. J'aime bien ce qu'elle a fait récemment. Je pense que c'est une artiste complète. Un mot... un souhait... J'en profite pour lancer un appel à tout le monde, journalistes, artistes... nous avons le même combat. Nous disposons d'un beau pays qui recèle de richesses, mais nous ne savons pas vendre cette image. Il m'est arrivé à plusieurs fois de passer des heures à expliquer à des étrangers ce qu'est l'Algérie réellement. C'est un pays qui nous rendra la pareille si on le traite mal. Ce n'est pas de la philosophie, croyez-moi, mais une pure conviction. Il m'est arrivé de tomber sur des obstacles en Orient alors que je sais qu'ici, chez moi en Algérie, je dispose des mêmes atouts pour réussir. Je suis fatiguée de faire le tour du monde pour réussir, alors que mon pays peut amplement satisfaire tous mes besoins d'artiste. Vous semblez si fatiguée... Oui ! Je suis fatiguée d'être chez les autres. Oui, je le dis clairement. Je suis une princesse et je vous parle avec la logique d'une gagnante. Je ne suis pas une looser. Mon album marche très bien, mais je suis fatiguée d'être seule tout le temps là-bas et de traiter avec un tas de monde. Je suis aussi fatiguée comme tous les Algériens qui sont à l'étranger. Fatiguée parce que mon pays n'est pas un désert. Je peux réussir ici ce que je fais ailleurs. Voilà, je me devais de le dire et vous m'avez permis de vider une grosse boule !