Toutes les tentatives de conciliation ont échoué. La commission mixte algéro-chinoise, qui devrait se réunir à Alger, entre le 8 et 10 juillet courant, reste l'ultime recours pour Youcef Beyaz, un industriel algérien, victime d'une arnaque chinoise. Le litige est vieux de 12 ans, comme d'ailleurs les équipements de l'usine à l'arrêt depuis 9 ans pour ne pas dire qu'elle n'a jamais fonctionné. La genèse de l'affaire remonte à 1993, l'année où M. Beyaz a décidé de créer, en Algérie, une usine de fabrication de crayons noirs et couleurs d'une capacité de 30 millions d'unités par an. Un projet unique en Afrique. Mais ce qui devait faire son bonheur est devenu une sorte de malédiction pour lui et sa famille. Ce projet lui a, en effet, coûté non seulement sa fortune mais aussi sa santé. Car au cours de sa lutte solitaire pour recouvrer ses droits, il a eu un infarctus et deux AVC (accident vasculo-cérébral). La lutte de M. Beyaz a trop duré sans qu'elle ait l'écho souhaité. Ce nationaliste, qui a opté pour l'investissement dans son pays au moment où tout le monde le quittait pour des raisons de sécurité, a passé des centaines de journées noires et d'innombrables nuits blanches, taraudé par le conflit l'opposant aux dragons. Dupé par les Chinois qui lui ont fourgué des machines vétustes qui, à les voir, nous rappellent l'industrie des années 1970, M. Beyaz se retrouve seul dans l'arène. Ni les va-et-vient entre le ministère des Affaires étrangères et l'ambassade de Chine en Algérie ni même les correspondances adressées aux différentes institutions de l'Etat n'ont contribué au règlement de son problème. Les banques réclament leur argent. M. Beyaz est dans une situation de détresse. Face à un véritable casse-tête chinois. Retour sur l'affaire En 1993, Youcef Beyaz a pris attache avec l'ambassade de Chine en Algérie en vue de trouver un fournisseur d'équipements nécessaires pour l'installation de son usine de fabrication de crayons dans la zone industrielle Baba Ali (sud d'Alger). La représentation diplomatique, plus précisément l'ambassadeur de l'époque, l'a orienté vers la société industrielle du nord de Chine, Norinco, qui possède un bureau en Algérie depuis 1980. Cette société est spécialisée dans l'armement et n'a aucune notion sur l'industrie des crayons. C'est ainsi qu'elle a, de son côté, sous-traité avec l'usine de crayons de Pékin. Ce que M. Beyaz n'a constaté que tardivement. Les discussions entre les deux parties ont abouti à la signature d'un contrat le 3 septembre 1993 à Pékin. Le contrat faisait obligation à la partie chinoise de fournir un ensemble complet d'équipements technologiques neufs, d'assurer le montage et le réglage ainsi que l'essai de production. Elle devait également prendre en charge la formation de techniciens algériens en Chine pour une période de trois mois en plus d'un second cycle de formation sur site en Algérie. La réalisation de la chaîne de production est fixée pour un délai de 18 mois. L'article 7 du contrat faisait état de livraison de machines neuves en plus d'un transfert technologique. La partie algérienne est appelée à verser la somme totale du prix du marché conclu 6 mois avant l'embarquement de la marchandise. Ce qui a été honoré par M. Beyaz. Mais la partie chinoise n'a pas respecté les clauses de ce contrat. Comment ? La société Norinco a fourgué à M. Beyaz des équipements obsolètes, désuets et vétustes. Elle a donc failli à son engagement. En vertu du contrat signé, Norinco devait contrôler la fiabilité des équipements avant la livraison. Ce qu'elle n'a pas fait. Sinon pourquoi c'est M. Beyaz qui découvre la vétusté des machines, une fois arrivées en Algérie ? A la découverte de l'arnaque, M. Beyaz a avisé l'ambassade de Chine en Algérie, le bureau de Norinco en Algérie et le ministre de la PME-PMI de l'époque. Ce dernier, à l'occasion d'un déplacement en Chine, a posé le problème aux hautes autorités chinoises. Ainsi, une commission ad hoc composée de toutes les parties, à savoir Norinco, l'usine de Pékin et M. Beyaz, a vu le jour. Après discussions, un procès-verbal a été signé le 9 juin 1996 entre les deux parties et dans lequel Norinco a reconnu avoir constaté de visu et confirmé tous les défauts et défectuosités qu'a le matériel vendu. Les deux parties ont classé en quatre catégories les équipements fournis : machines vieilles, machines rénovées, machines présentant des vices de fabrication et machines neuves (une seule). S'agissant des machines ayant des problèmes, il est convenu que des experts chinois procéderont au remplacement des pièces détachées et à réparer les équipements. Bref, il est mis à la charge de la partie chinoise de prendre toutes les mesures nécessaires jusqu'au fonctionnement normal de la chaîne complète. En d'autres termes, le matériel devait être garanti pour une période d'un an, avec obligation de résultat. En sus, la partie chinoise s'est engagée à remplacer, à ses frais, 27 machines défectueuses. Suivant les recommandations du PV, la partie chinoise a envoyé un groupe d'experts pour la mise en marche de la chaîne de production. Mais lorsque ces experts ont constaté qu'il était pratiquement impossible de remettre ces machines en marche, ils sont repartis, prétextant qu'ils devaient assister à la fête de fin d'année. Ils ont promis à M. Beyaz de revenir avant le 19 mars 1997, ce qu'ils n'ont pas fait. La partie chinoise a, également, livré seulement 25 sur les 27 machines en arguant que les deux autres, les plus importantes, ne sont plus fabriquées en Chine. En plus, les accessoires de ces machines ne figuraient pas dans le lot. Devant le non-respect des Chinois de leur engagement, M. Beyaz a alerté toutes les autorités du pays. C'est ainsi qu'une autre réunion de la commission ad hoc a eu lieu le 23 novembre 1997 à l'ambassade de Chine en Algérie en présence des autorités chinoises et algériennes susceptibles de siéger dans la commission mixte algéro-chinoise, comme l'a exigé M. Beyaz. Côté chinois, étaient présents la directrice du projet Norinco et son représentant à Alger, le sous-directeur de l'usine de crayons de Beijing et le conseiller économique de l'ambassade de Chine en Algérie. Côté algérien, il y avait, en plus de M. Beyaz, un représentant du ministère de la PME-PMI et le chef des études à l'APSI (actuellement ANDI). Les discussions ont débouché sur la signature d'un autre procès-verbal le 20 décembre 1997. Et il était convenu d'envoyer une mission d'experts chinois pour la reprise des travaux et le démarrage de l'usine à compter du 3 janvier 1998. Et puis la réception provisoire de l'usine, qui n'a jamais été signée à cause de certaines réserves émises par la partie algérienne sur quelques machines non opérationnelles. Quant aux accessoires des 25 machines, ils devaient arriver avant le 30 juin 1998 avec l'arrivée des techniciens chinois. Or les accessoires sont arrivés sans les techniciens. De ce fait, les 25 machines n'ont jamais été mises en marche jusqu'à présent. Le deuxième PV prévoyait encore une autre réunion qui devait s'échiner sur les modalités de réparation du préjudice. Elle a été remise aux calendes grecques. Quant aux machines qui manquaient à la livraison, la partie chinoise les a remboursées à la partie algérienne. Conflit sino-chinois A cette période, l'usine de crayons de Pékin fut vendue aux étrangers sans passif ni actif. Ainsi est surgi le conflit sino-chinois entre Norinco et la société de crayons de Pékin. Cette dernière a pu obtenir gain de cause devant la justice chinoise au détriment de la première. Après cette décision, Norinco s'est sentie lésée. Car, selon elle, c'est la direction de l'usine de Pékin, démantelée, qui est instigatrice de l'escroquerie. D'ailleurs dans une correspondance du 18 mars 2004 adressée à M. Beyaz, suite à la pression de l'ambassadeur de Chine en Algérie, Norinco a précisé qu'il s'agit d'un problème « légué par l'usine de fabrication de crayons de Pékin ». De ce fait, elle se considère, à son tour, comme victime au même titre que M. Beyaz. Par une telle décision, les autorités chinoises se trouvent impliquées de fait dans le conflit pour plusieurs raisons. D'abord, c'est l'ambassadeur qui a orienté M. Beyaz vers la société Norinco (publique), qui n'a rien à voir avec l'industrie des crayons. Ensuite, cette décision de justice en faveur de l'usine a poussé Norinco à refuser de poursuivre l'exécution du contrat. Devant l'insistance de M. Beyaz, la conseillère économique de l'ambassade, Mme Lu, a trouvé un moyen pour contourner le véritable de problème qui consiste en la commission mixte en invoquant la justice, en vue de gagner du temps. Mais le contrat est clair. Il stipule que dans le cas d'un litige pareil, les deux parties doivent dans un premier temps recourir à un règlement à l'amiable. Ce qui a été fait à travers la commission ad hoc. Commission mixte En cas de non-aboutissement, comme c'est le cas, les deux parties doivent recourir à la commission mixte algéro-chinoise. La dernière réunion de cette commission remonte à 1996. Et c'est ce qui a poussé M. Beyaz à attendre tout ce temps-là. Car l'article 106 du code civil stipule que « le contrat fait la loi des parties ». Donc, toute action en justice s'avère d'ores et déjà vaine au niveau de la forme. Mais pour les autorités chinoises, qui ne veulent pas qu'elles soient impliquées dans cette affaire, la commission mixte traite uniquement les grands axes de la coopération algéro-chinoise. Ce que M. Beyaz considère comme un volte-face, tout en dénonçant l'attitude des autorités algériennes qui n'ont pas saisi l'occasion pour souligner que le véritable problème réside dans le fond et non pas dans la forme. En effet, si la commission mixte a pour mission d'élaborer les grands axes de coopération entre les deux pays, il reste que la préparation des dossiers à soumettre à cette commission se fait par des experts qui examinent et analysent les questions à traiter bien avant que les hautes autorités des deux pays ne se rencontrent pour la signature des accords. Encore mieux, les autorités chinoises connaissent parfaitement le problème de M. Beyaz, parce que la commission ad hoc a eu lieu dans l'enceinte de l'ambassade en présence d'autorités chinois habilitées à siéger au niveau de la commission mixte. M. Beyaz insiste sur la nécessité de débattre son problème lors des réunions entre experts des deux pays qui précèdent la réunion de la commission mixte. Louvoiement En dépit d'innombrables correspondances de M. Beyaz adressées à la direction générale Asie -Océanie au niveau du ministère des Affaires étrangères (DGAO), son affaire ne figure pas parmi les questions inscrites à ce rendez-vous bilatéral. Aussi, malgré les recommandations du ministère du Commerce et de celui de la PME-PMI, la DGAO n'a rien fait pour poser le problème au niveau de la commission mixte. Pourtant, M. Beyaz détient tous les documents qui prouvent qu'il est victime d'une arnaque. La gravité de l'affaire a poussé M. Beyaz à interpeller ainsi les hautes autorités du pays, notamment le chef du gouvernement et le président de la République, pour que la délégation chinoise apporte des réponses définitives au conflit à l'occasion de cette rencontre bilatérale. Estimant que le projet d'il y a dix n'a plus lieu d'exister, M. Beyaz réclame le remboursement des équipements et le paiement des dettes vis-à-vis des banques. Quant au préjudice causé, il le laisse à l'appréciation des autorités algériennes. Il compte sur son pays qui, jusque-là, n'a rien fait pour l'aider à recouvrer ses droits. Pour illustrer cela, il raconte une anecdote : « Un investisseur algérien a acheté des équipements pour installer une usine de fabrication de savon chez les Italiens. Mais le jour de la réception, il découvre à son grand étonnement que la machine la plus importante ne figure pas dans le lot. Il alerte le fournisseur qui lui promettra de la lui envoyer rapidement. Après une longue attente sans résultat, l'investisseur est allé se plaindre à l'ambassadeur d'Italie en Algérie. Ce dernier lui répondra qu'il est là pour défendre les intérêts des Italiens et non pas ceux des Algériens. » Sans commentaire !