L'affaire traîne depuis treize ans. Elle oppose Youcef Beyaz, patron de la Sarl FCB, à la société chinoise la Norinco. En 1993, suivant la recommandation de l'ambassade de Chine à Alger, M. Beyaz avait passé un marché avec la Norinco, qui possède un bureau en Algérie depuis 1980. Cette dernière devait ainsi lui livrer, selon les termes du contrat, une usine clés en main de fabrication de crayons d'une capacité de 30 millions par an. Ce qui devait être le premier investissement de ce genre en Afrique devient chimérique. Réceptionnée à la date prévue, l'usine de M. Beyaz n'a jamais fonctionné. La raison ? La Norinco, qui a sous-traité avec l'usine de crayons de Pékin, a failli à ses engagements. Au lieu de machines neuves, comme stipulé dans le contrat, elle fourgua à M. Beyaz des équipements vétustes, désuets et obsolètes. La tricherie a été vite constatée à Alger par M. Beyaz. Pourtant, le contrat, plus précisément l'article 7, faisait état de livraison de machines neuves en plus d'un transfert technologique. Au départ, la société chinoise a refusé de reconnaître la vétusté des machines. Voyant le temps passer et son investissement bloqué, M. Beyaz porta son affaire devant les autorités algériennes (le ministère des PME-PMI) et l'ambassade de Chine à Alger. Le ministre des PME-PMI de l'époque, à l'occasion d'un déplacement en Chine, a posé le problème aux hautes autorités chinoises. Ainsi, une commission ad hoc composée de toutes les parties, à savoir la Norinco, l'usine de Pékin et M. Beyaz, a vu le jour. Un procès-verbal a été signé le 9 juin 1996 entre les deux parties et dans lequel Norinco a reconnu avoir constaté de visu et confirmé tous les défauts et défectuosités qu'a le matériel vendu. Les deux parties ont classé en quatre catégories les équipements fournis : machines vieilles, machines rénovées, machines présentant des vices de fabrication et machines neuves (une seule). S'agissant des machines ayant des problèmes, il est convenu que des experts chinois procéderont au remplacement des pièces détachées et à la réparation les équipements. Bref, il est mis à la charge de la partie chinoise de prendre toutes les mesures nécessaires jusqu'au fonctionnement normal de la chaîne complète. La partie chinoise s'est également engagée à remplacer, à ses frais, 27 machines défectueuses. Tentative de règlement Suivant les recommandations du PV, la partie chinoise a envoyé un groupe d'experts pour la mise en marche de la chaîne de production. Mais lorsque ces experts ont constaté qu'il était pratiquement impossible de remettre ces machines en marche, ils sont repartis, prétextant qu'ils devaient assister à la fête de fin d'année. Ils ont promis à M. Beyaz de revenir avant le 19 mars 1997, ce qu'ils n'ont pas fait. La partie chinoise a également livré seulement 25 sur les 27 machines en arguant que les deux autres, les plus importantes, ne sont plus fabriquées en Chine. En plus, les accessoires de ces machines ne figuraient pas dans le lot. Devant le non-respect des Chinois de leur engagement, M. Beyaz a alerté toutes les autorités du pays. C'est ainsi qu'une autre réunion de la commission ad hoc a eu lieu le 23 novembre 1997 à l'ambassade de Chine en Algérie en présence des autorités chinoises et algériennes susceptibles de siéger dans la commission mixte algéro-chinoise, comme l'a exigé M. Beyaz. Les discussions ont débouché sur la signature d'un autre procès-verbal le 20 décembre 1997. Il était convenu d'envoyer une mission d'experts chinois pour la reprise des travaux et le démarrage de l'usine à compter du 3 janvier 1998, puis la réception provisoire de l'usine, qui n'a jamais été signée à cause de certaines réserves émises par la partie algérienne sur quelques machines non opérationnelles. Quant aux accessoires des 25 machines, ils devaient arriver avant le 30 juin 1998 avec l'arrivée des techniciens chinois. Or les accessoires sont arrivés sans les techniciens. De ce fait, les 25 machines n'ont jamais été mises en marche jusqu'à présent. Le deuxième PV prévoyait encore une autre réunion qui devait s'échiner sur les modalités de réparation du préjudice. Elle a été renvoyée aux calendes grecques. La responsabilité chinoise A cette période, l'usine de crayons de Pékin fut vendue aux étrangers sans passif ni actif. Ainsi a surgi le conflit sino-chinois entre la Norinco et la société de crayons de Pékin. Cette dernière a pu obtenir gain de cause devant la justice chinoise au détriment de la première. Après cette décision, Norinco s'est sentie lésée, car, selon elle, c'est la direction de l'usine de Pékin, démantelée, qui est instigatrice de l'escroquerie. D'ailleurs, dans une correspondance du 18 mars 2004 adressée à M. Beyaz, suite à la pression de l'ambassadeur de Chine en Algérie, Norinco a précisé qu'il s'agit d'un problème « légué par l'usine de fabrication de crayons de Pékin ». De ce fait, elle se considère, à son tour, comme victime au même titre que M. Beyaz. La Norinco a ainsi exploité cette décision de justice en sa défaveur pour arrêter l'exécution du contrat. Après plusieurs tractations, l'affaire a été portée à la commission mixte algéro-chinoise en juillet 2005. Il ressort de cette réunion que l'affaire Beyaz doit être traitée à l'amiable entre les deux parties algérienne et chinoise. « Depuis cette réunion, la Norinco ne s'est plus manifestée jusqu'à la veille du départ du président de la République en Chine », lâche M. Beyaz avec désolation. « Elle m'avait contacté pour un rendez-vous en vue de résoudre le problème. Mais c'était finalement juste pour que la délégation accompagnant le président de la République ne pose pas le problème avec les hautes autorités chinoises », fait-il remarquer. « D'ailleurs, poursuit-il, depuis le voyage du Président, elle ne s'est plus manifestée et l'affaire reste toujours suspendue. » M. Beyaz impute l'entière responsabilité de cette situation aux autorités chinoises « qui ont donné à tort ou à raison gain de cause à l'usine de fabrication de crayons de Pékin au détriment de la Norinco ». M. Beyaz, qui ne demande qu'à être remboursé, ne sait plus à quel saint se vouer. Usé par autant d'années de combat solitaire, il doit aussi faire face aux banques qui réclament leur argent. « J'ai tout mis dans ce projet. Je n'ai plus rien aujourd'hui. Depuis 1993, je n'ai gagné aucun sou », dénote-t-il. La lutte de M. Beyaz a trop duré sans qu'elle ait l'écho souhaité. Ce nationaliste, qui a opté pour l'investissement dans son pays au moment où tout le monde le fuyait pour des raisons sécuritaires, a passé d'innombrables nuits blanches, taraudé par ce conflit qui l'oppose aux dragons. Ce projet lui a coûté non seulement toute sa fortune mais aussi sa santé. Il a eu un infarctus et deux AVC (accident vasculo-cérébral). La soixantaine, il suit un traitement médical à vie.