En célébrant dans une ambiance très solennelle son cinquantenaire, l'Union générale des étudiants musulmans algériens (UGEMA) a tenu à rendre un vibrant hommage non seulement aux étudiants algériens qui ont sacrifié leur jeunesse et leurs études pour la cause nationale, mais aussi, par extension, à tous les intellectuels patriotes qui ont pris une part active dans le combat libérateur du pays et sur lesquels la Révolution algérienne s'est solidement appuyée avant de connaître le succès qu'on lui connaît. La rencontre de Tlemcen - qui devait à l'origine n'être qu'une « réunion de famille » entre les anciens membres fondateurs de l'UGEMA pour fêter une date historique dans une conjoncture très spéciale marquée par l'anniversaire du 5 Juillet, et qui se transforma, au grand bonheur des chercheurs, en un colloque international dont la richesse des intervenants, algériens et étrangers, ne manquera sûrement pas de fournir de précieux éléments de réflexion pour l'écriture de l'histoire - aura été somme toute une opportunité inespérée pour « réhabiliter » en quelque sorte le rôle joué par l'intelligentsia nationale dans le processus du mouvement de Libération nationale. A tout le moins, ce rendez-vous, qui a nécessité près d'une année d'efforts pour son organisation et de gros moyens financiers que l'Etat n'a pas lésiné à débloquer, peut être retenu par les spécialistes comme un point de repère important pour revisiter, dans sa globalité, d'une part, l'engagement et la participation des intellectuels algériens au combat national pour l'indépendance et, d'autre part, les expliciter aux générations montantes, notamment par l'ouverture d'un large débat qui a terriblement fait défaut jusque-là. Au demeurant, c'est ce qu'ont essayé de souligner, à travers leurs témoignages, les invités étrangers comme l'ancien Premier ministre tunisien, Hedi Beccouche, les anciens responsables de l'Union nationale des étudiants français (UNEF), Wallon et Chapuis, l'ancien directeur général de l'Unesco, Ahmadou Mahtar M'Bow, le représentant de l'USNSA (Etats-Unis), Clement Henry, et le représentant de l'Union internationale des étudiants, Babak Khosrovi. Des témoignages émouvants sur l'action des universitaires à travers le monde qui avaient, à l'époque, manifesté leur solidarité avec la cause algérienne, auxquels sont venus se joindre, pour abonder dans le même sens, les messages de sympathie de l'ancien président de la Roumanie, Iliescu, du directeur général de la FAO, Jacques Diouf, du responsable actuel de l'UNEF, Borrela, de la romancière algérienne Assia Djebar. Il y eut donc un très large échange intellectuel pour montrer toute la dynamique du mouvement estudiantin dans ses positions politiques contre le colonialisme, l'injustice et les atteintes aux libertés fondamentales dans le monde. Les intervenants algériens, quant à eux, à l'instar de Aït Chaâlal, Abdelaoui Ali, Lamine Khène, Bouabdellah, Djelloul Baghli, Dahou Ould Kablia, Belaïd Abdeslem et Rédha Malek, ont centré leurs communications sur le long et difficile parcours de l'UGEMA depuis sa création. Tous ont contribué à faire valoir la noble et glorieuse contribution de l'élite algérienne à l'élargissement du mouvement de Libération nationale. A ce propos, Rédha Malek, qui parle en connaissance de cause en sa qualité de membre fondateur de l'UGEMA, a tenu à préciser dans un texte adressé à El Watan que « l'ambition de l'UGEMA était de s'ériger en intellectuels organiques, en une ébauche d'intelligentsia, certes exiguë en nombre, mais partageant intimement le destin de son peuple et profondément ancrée dans son mouvement historique ». Il ajoutera qu'« il ne s'agissait pas pour les étudiants algériens de s'organiser en simple syndicat corporatif, mais d'apporter leur quote-part qualitative au combat libérateur ». Pour le chef de l'Etat , « la création de l'UGEMA représente un saut qualitatif dans l'organisation et les perspectives du mouvement estudiantin algérien, mais c'est avant tout le résultat d'un long processus de participation active et souvent décisive des étudiants et des intellectuels algériens à la renaissance de leur société, de leur peuple, de leur nation ». Il s'agit, dira-t-il, d'« un moment lumineux de l'histoire de notre mouvement national et de notre guerre de Libération nationale ». En d'autres termes, « les activités initiées et menées par l'UGEMA sont inséparables de l'ensemble des opérations dont le déroulement constitue la trame des faits et des exploits composant l'histoire de notre Révolution ». C'est le meilleur hommage qu'on pouvait rendre à cette élite combattante qui a rarement eu les faveurs des médias. Plutôt une reconnaissance sans complaisance du rôle prépondérant qu'elle a tenu dans les moments cruciaux de la Révolution. Si on laisse le soin aux historiens de décrypter son itinéraire dans un contexte de mémorisation plus large, on retiendra pour notre part que les étudiants algériens activant au sein des deux associations universitaires que sont l'AEMAN et l'AEMNA se sont mobilisés durant la période sensible de leur mouvement de contestation qui se situe entre la Première et la Seconde Guerre mondiale contre toute tentative d'assimilation menée par les autorités françaises de l'époque qui avaient vainement essayé de les influencer. Formés par les écoles françaises, ces derniers devaient naturellement, selon ces mêmes autorités, prendre fait et cause pour l'ordre colonial. C'était compter sans le haut degré de conscience qui animait nos étudiants, lesquels allaient dans leur lancée s'élever contre le code de l'indigénat, les injustices sociales et, par conséquent, se mobiliser pour l'égalité des droits entre les hommes. Après la Seconde Guerre mondiale, on assista à une radicalisation du mouvement estudiantin, surtout avec l'évocation du principe d'indépendance. Avec la naissance précisément de l'UGEMA en 1955, le combat devient plus clair, plus politique, et l'ancrage dans le peuple plus prononcé. L'électrochoc dans l'opinion française surviendra avec la grève générale décrétée en mai 1956 par l'UGEMA qui allait ainsi naturellement renforcer les structures du FLN et voir ses membres étudiants rejoindre en masse les maquis. Cependant, si les étudiants prenaient une part active dans la lutte armée, c'est aussi dans l'action internationale de mobilisation qu'ils allaient s'illustrer. L'UGEMA s'attela en effet à porter par des séminaires, des conférences et des opérations de propagande le plus loin possible la voix de l'Algérie. Elle était membre, à l'époque, de deux associations internationales très influentes : l'E/COSEC (Conférence internationale des étudiants/secrétariat de coordination), qui représentait les Occidentaux, et l'UIE (Union internationale des étudiants) siégeant à Prague et qui représentait le bloc socialiste. Le coup de force était, au temps de la guerre froide, d'amener les deux organisations estudiantines à soutenir l'UGEMA dans ses positions anticolonialistes. L'autre exploit était de réussir, en pleine guerre de Libération, à convaincre l'UNEF, à laquelle adhérait la majorité des étudiants français, de la justesse du combat mené par les Algériens, et donc de la voir prendre des positions tranchées contre la colonisation.