Le 9 août 2004, un juge fédéral a ordonné à deux journalistes américains de témoigner devant une chambre d'accusation qui enquête sur la fuite dans la Maison-Blanche à l'origine de la publication du nom d'une espionne de la CIA, Valerie Plame. Il s'agit de Matthew Cooper du magazine américain Time et Tim Russert, le chef du bureau de Washington de la chaîne NBC. Cette convocation, qui date de mai 2004, vise à faire témoigner les journalistes « de discussions présumées qu'ils auraient eues avec un responsable précis de la branche exécutive », explique l'ordre du juge Thomas Hogan. Les deux journalistes ont déposé une motion pour annuler les convocations s'appuyant sur le premier amendement de la Constitution américaine défendant la liberté de la presse. Or, le juge Hogan estime que la protection des sources, corollaire de la liberté de la presse, ne s'applique pas à des affaires de haute trahison. Des hauts responsables de l'Administration Bush sont menacés de crime fédéral... « L'affaire Plame » peut devenir un cocktail explosif pour l'actuel locataire de la Maison-Blanche. Car elle mélange la polémique sur le déclenchement de la guerre en Irak, les supposées armes de destruction massive (ADM) de Saddam et les rapports exigés par la Maison-Blanche à la CIA. « L'AFFAIRE PLAME » RISQUE D'ÉCLABOUSSER BUSH Dans les mois qui précèdent l'invasion américaine en Irak, la CIA cherche à tout prix des preuves démontrant que l'Irak possède un programme d'ADM. L'Agence envoie au Niger Joseph C. Wilson IV, un diplomate à la retraite, afin qu'il découvre une éventuelle filière d'achat d'uranium enrichi de Yellowcake, entre Niamey et Baghdad. Fin 2002, Joseph Wilson revient du Niger et conclut que l'achat d'uranium par l'Irak est « hautement improbable ». Mais, lors de son discours sur l'état de l'Union, en janvier 2003, George W. Bush cite des sources britanniques et affirme que l'Irak a tenté d'acheter de l'uranium en Afrique. La polémique sur les introuvables ADM en Irak éclate peu après l'invasion de l'Irak par la coalition. Joseph Wilson publie alors, en juillet 2003, une tribune dans le quotidien américain le New York Times, dans laquelle il accuse l'Administration Bush d'avoir menti. Un journaliste proche des républicains, Robert Novak, réplique dans le Washington Post. Valerie Plame, épouse de Wilson, était, en réalité, un agent de la CIA, spécialisée dans les armes de destruction massive, affirment deux hauts responsables de l'Administration Bush sous couvert de l'anonymat. Novak met en cause le sérieux de l'enquête de l'ancien ambassadeur. Deux mois plus tard, le Washington Post écrit que « deux hauts responsables de la Maison-Blanche avaient appelé au moins six journalistes de Washington pour divulguer l'identité et le métier de la femme de Wilson ». Deux journalistes du Times et de la chaîne NBC reprennent l'information. L'enquête qui les concerne tourne autour d'une seule question : « Qui a grillé Valerie Plame ? » Car Joseph Wilson estime que la Maison-Blanche a divulgué le métier et l'identité de sa femme pour se venger de son assertion quant à l'absence de lien entre l'Irak et l'Afrique. La divulgation de l'identité d'un agent de la CIA est un crime fédéral aux Etats-Unis. Dans un premier temps, la Maison-Blanche s'était opposée à l'ouverture d'une enquête indépendante dans le cadre de « l'affaire Plame », elle estimait qu'une enquête interne menée par le ministère de la Justice suffisait. Mais elle s'était finalement résolue à accepter la nomination d'un procureur spécial en la personne de Patrick Fitzgerald en décembre 2003. Les deux journalistes sont actuellement sommés, par la justice, de divulguer leurs sources. Néanmoins, la presse américaine s'insurge contre la volonté de la justice de vouloir connaître les sources des deux journalistes. La législation américaine est assez floue sur la question de la protection des sources. Seule la jurisprudence reconnaît aux journalistes le droit de ne pas divulguer l'identité des personnes qui leur parlent sous le sceau de la confidentialité. Le New York Times a estimé que « des gens qui ont connaissance des méfaits n'oseront plus parler s'ils savent que la promesse de confidentialité d'un journaliste peut être rompue par un procureur ». Les juges veulent rompre l'engagement de confidentialités car c'est le seul moyen, à leurs yeux, de connaître les noms des délateurs. A Washington, certains officiels sont soupçonnés, et les rumeurs désignent Lewis « Scooter » Libby, l'influent directeur de cabinet du vice-président américain Dick Cheney, et Karl Rove, l'éminence grise du Président Bush. Avant d'exiger que les journalistes dévoilent leurs sources, peut-être faudrait-il interroger sous serment les membres importants de l'Administration susceptibles d'avoir eu accès à des informations classées secrètes par la CIA. Lewis Libby a ainsi autorisé les deux journalistes à évoquer avec les juges le contenu de leurs conversations. L'affaire Plame prend de l'ampleur et la suspicion gravit les échelons de la Maison-Blanche. Certains observateurs évoquent un scandale de l'ampleur du Watergate.