Aour avoir refusé de divulguer l'identité de leur source, la justice américaine a condamné mercredi cinq journalistes. C'est la deuxième affaire de ce genre en deux semaines aux Etats-Unis. Le 18 août 2004, cinq journalistes, dont James Risen et Jeff Gerth du quotidien le New York Times, refusent de révéler leur source et sont condamnés à verser 500 dollars par jour jusqu'à ce qu'ils changent d'avis. Il s'agit d'une affaire civile, traitée par la Cour fédérale. Les journalistes ne peuvent donc pas être protégés par la Shield Law (loi de protection). Entre 1999 et 2000, ils avaient couvert l'affaire d'un scientifique américain originaire de Taïwan, Wen Ho Lee, travaillant dans les laboratoires de Los Alamos, aux Etats-Unis. Accusé d'espionnage au profit de la Chine, Wen Ho Lee avait été détenu durant 9 mois malgré ses dénégations avant d'être remis en liberté. Les journalistes avaient bénéficié d'informations confidentielles gouvernementales. Contacté hier, le service presse du journal a rappelé les propos de George Freeman, conseiller juridique du New York Times. Celui-ci a annoncé que « les journalistes ne pourraient tout simplement par faire leur travail s'ils étaient forcés à révéler leurs sources confidentielles ». La demande de mise en appel de la sentence permet aux journalistes de ne pas verser la somme de 500 dollars par jour. Autre affaire. Le 9 août 2004, le juge fédéral Hoggan ordonne à deux journalistes américains de témoigner devant une chambre d'accusation. Celle-ci enquête sur la fuite dans la Maison-Blanche à l'origine de la publication du nom d'une espionne de la CIA, Valerie Plame. Or, Matthiew Cooper du magazine américain Time refuse de révéler le nom de sa source gouvernementale. Il est alors condamné à une peine de prison, mais fait appel. Matthew Cooper ne peut utiliser la Shield Law car la divulgation de l'identité d'un agent de la CIA est un crime de haute trahison. Il s'agit donc d'une affaire criminelle. Son avocat Floyd Abrams, joint la semaine écoulée par téléphone, insiste sur le fait que la justice devrait trouver le délateur de la Maison-Blanche par d'autres moyens. Et éviter ainsi à Cooper de révéler sa source. Floyd Abrams affirme que la Maison-Blanche a remis des documents à la cour fédérale. Or, l'avocat n'a pu en connaître la teneur car ces documents sont classés secrets. Il reste donc dans l'expectative. Par ailleurs, un grand jury a déjà entendu George W. Bush et son vice-président Dick Cheney. Mais les résultats de ces interrogatoires n'ont pas été communiqués à l'avocat de Matthiew Cooper. « L'audience en appel se tiendra probablement en septembre, mais aucune date n'a encore été fixée », a déclaré son avocat. La loi américaine n'est pas claire quant au droit des journalistes à protéger leurs sources. Un arrêt rendu en 1972 par la Cour suprême fait jurisprudence. Selon cet arrêt, le premier amendement de la Constitution américaine, qui garantit la liberté de la presse notamment, ne doit pas permettre à un journaliste de se soustraire aux questions d'un grand jury lors d'un procès fédéral. Néanmoins, le vote qui avait conduit à cette décision fut serré : 5 voix contre 4. Et le juge Powell, dont le vote permit à la majorité de s'imposer, expliqua que, dans certaines conditions, un journaliste peut avoir le droit de ne pas divulguer sa source à un grand jury. La marge d'appréciation est donc large. Afin de permettre aux journalistes de ne pas avoir à révéler l'identité de leur source, trente sur les cinquante Etats américains ont adopté une Shield Law. Elle offre une protection légale aux journalistes lorsqu'il s'agit d'une affaire civile ne mettant pas en cause l'Etat fédéral. Incapable de trouver les délateurs « officiels » par d'autres moyens, la justice américaine semble verser dans le chantage.