Le colonel John Garang, ancien chef d'état-major de l'armée soudanaise, devenu chef de la rébellion du Sud-Soudan, mais chef de guerre pour les autorités centrales de ce pays, véritable corps malade de l'Afrique, est mort samedi dans un accident d'hélicoptère. Et comme toute mort de ce genre, surtout au Soudan où elles tendent à se multiplier, celle-ci est frappée de suspicion. Ce pays, qui a fait un grand pas vers la paix, s'en trouve dès lors menacé d'éloignement. John Garang a un parcours particulier. Comment ce loyaliste, qui a servi avec dévouement l'armée de son pays, s'en est-il séparé et a-t-il retourné ses armes contre ses anciens soldats et officiers ? Tout cela, dira-t-on, à cause de la bêtise humaine, puisque le temps, deux coups d'Etat et autant de chefs d'Etat ont fini par mettre à plat un pays potentiellement riche, et donner tort à Djafar Numeiry, qui avait mis le feu aux poudres. Cet ancien chef d'Etat, lui-même venu au pouvoir grâce à un coup d'Etat, s'y est maintenu par la force et les alliances, fussent-elles au détriment de son pays. C'est ce qu'il a fait en 1983 en décrétant la charia alors même que le Soudan est une mosaïque avec des populations chrétiennes et animistes, essentiellement dans sa partie méridionale. C'est ce qui a poussé l'un de ses proches, c'est-à-dire le colonel John Garang, à quitter les rangs de l'armée régulière et à fonder le Mouvement de libération du Sud-Soudan (MPLS) et son bras armé, le SPLA. Depuis cette date, c'est une longue liste de massacres, de campagnes d'éradication, mais aussi de génocides et de déplacements de populations comme il y en a eu rarement à travers l'histoire. Plus que cela, le Soudan devient un espace ouvert à toutes les manipulations et à toutes les expériences, comme le fut son espace aérien en 1985 pour le fameux pont aérien qui a permis le transfert vers Israël de dizaines de milliers de juifs éthiopiens, appelés falashas. Ce sont aussi la misère et toutes les pandémies. Tout cela, dit-on depuis une année, allait rentrer dans l'ordre à la faveur d'un accord de paix, dont la mise en œuvre progressive a permis à John Garang de faire un retour triomphal dans la capitale soudanaise où il occupe la fonction de vice-président. Une fonction provisoire en attendant le référendum au Sud-Soudan, où le mur de la haine pousserait vers la séparation d'avec le Nord. En tout et pour tout, le défunt, qui a tout juste 60 ans, n'aura passé que deux cent jours de paix. Il est mort alors que l'appareil qui le transportait d'Ouganda s'est écrasé samedi soir dans les montagnes du Sud-Soudan, a annoncé le président Béchir dans un communiqué lu à la télévision soudanaise. M. Béchir a affirmé que la mort de John Garang n'allait que renforcer sa détermination à poursuivre le processus de paix avec les ex-rebelles sudistes. « C'était un hélicoptère présidentiel (ougandais) et il y avait assez d'essence, la cause (du crash) est simplement le mauvais temps », avait affirmé plus tôt un responsable ougandais. Ce qu'une partie de l'opinion refuse d'admettre, puisque des milliers de Sudistes portant des armes blanches et des armes à feu sont immédiatement descendus dans les rues de la capitale ainsi que dans les provinces méridionales dès l'annonce du décès. Les émeutiers ont mis à sac des magasins et les ont brûlés, ils ont également incendié des véhicules. Cet accident d'hélicoptère est effectivement le dernier d'une longue liste de crashes aériens qui ont coûté la vie à de nombreuses personnalités politiques ou militaires soudanaises. Il est considéré comme dangereux de voler dans certaines zones du Soudan : climat tropical, manque d'équipement, mauvais entretien des appareils, mais aussi... missiles sol-air dont certains groupes rebelles sont équipés. Plusieurs responsables de l'opposition et observateurs ont toutefois souvent accusé le gouvernement de maquiller des purges en accidents d'avion. Et pour prouver que tel n'est pas le cas, le gouvernement soudanais est tenu d'en donner la preuve, laquelle réside dans l'application de l'accord de paix. Et en ce sens, la succession de John Garang pourrait s'avérer difficile si Khartoum venait à baliser la voie aux plus irréductibles.