Qu'est-ce que je fais là ? C'est au premier jour de vacances que Tifour s'est posé cette question fondamentale. Un tour d'horizon lui a suffi. Des maisons en pierre ou en parpaing, certaines surmontées de tiges métalliques pour croire à l'avenir et de pneus usagés pour éloigner le mauvais œil. De la chaleur, grosse, de la poussière et ce sentiment que la fin du monde n'est pas loin ressemble à ce vieux assis sur un tronc d'arbre qui attend la mort en Kabyle. Mais qu'est-ce que je fais là ? C'est comme ça, après avoir envisagé la Turquie, trop loin, la Tunisie, trop près, et la côte algérienne, trop chère, que Tifour et sa famille se sont retrouvés en Kabylie, à Aït Voutchour plus exactement, petit village kabyle de Grande Kabylie adossé à une montagne farouche. Si tu gagnais mieux ta vie, on n'aurait pas été obligés d'aller chez les Barbares, lui avait dit Nadia sa femme, en rangeant les affaires et les enfants dans le coffre arrière de la Marutti achetée à crédit. Des Berbères, Nadia, des Berbères. Et puis, tais-toi, tu vas nous faire repérer. C'est par l'intermédiaire d'un vague voisin vaguement originaire de la région que Tifour a trouvé une petite maison à louer pour le mois d'août, à un prix abordable. Tu verras, tu as une vue imprenable sur l'Algérie, lui avait dit le voisin. Après un éreintant voyage de plusieurs heures sans climatisation, Tifour et sa famille sont arrivés au village. En y entrant, il s'est tout de suite présenté comme le veut la tradition, les bras en l'air en disant simplement « pouvoir assassin ». C'est ainsi qu'il a été accueilli à bras ouverts, dans ce village pittoresque. La maison aussi avait quelque chose de pittoresque : pas de fenêtres, mais une porte, en bois mou. Quelques trous au plafond. Tifour a laissé sa femme Nadia déballer les affaires : Je vais faire un tour dehors. Mais on est déjà dehors, a murmuré Anis, l'aîné des garçons, l'œil inquiet.