L'étoile montante du cinéma et théâtre français, Rachida Brakni, une Française d'origine algérienne, vient d'achever le tournage du film franco-algérien Barakat, un long métrage tourné entièrement au niveau des différents sites de la wilaya de Tipaza. Détendue à l'issue de l'achèvement de la dernière séquence, elle nous a accordé un entretien exclusif. Sans retenue, Rachida Brakini ne s'est pas autocensurée. Elle veut que ses compatriotes algériens la connaissent davantage. Après un séjour de deux mois dans la wilaya de Tipaza, l'actrice compte revenir au pays durant la saison estivale. Nous préférons d'abord débuter notre entretien par votre présentation. Vous êtes une actrice française d'origine algérienne ? O.K. ! Je suis née le 4 février 1977 en France. J'ai grandi dans la banlieue parisienne. J'ai suivi une formation classique, collège, baccalauréat et université. Au départ, je voulais devenir avocate. C'est tout à fait par hasard que je suis au théâtre. A l'âge de 14 ans, le code pénal me passionnait déjà. Il fallait donc m'inscrire dans un cour de théâtre pour avoir une certaine aisance dans mes plaidoiries. Je ne connaissais rien du cinéma ni du théâtre. J'avais découvert par la suite les grandes pièces de Molière et de Shakespeare. Je me suis rendue compte qu'à travers ces pièces, il y avait des transpositions à faire entre ce qui se passe dans le monde d'aujourd'hui et les textes. Finalement, il y a des tartufes en Algérie, en Iran et un peu partout dans le monde. Dans les pièces de Shakespeare, il y a des situations sur les femmes, le pouvoir. Le fait de pouvoir monter sur scène pour jouer ces pièces est pour moi une parole citoyenne. Alors, je me suis posée la question. Est-ce que j'avais les épaules assez solides pour devenir avocate, étant donné que je suis une personne qui prend les choses trop à cœur ? Donc, je me suis dit que j'ai un pied par lequel je pouvais m'exprimer et dévoiler ce monde dans lequel je vis, en interprétant des rôles dans certaines pièces. Je suis plus attirée par les rôles de tragédie, par les figures comme Antigone et shakespeiarienne. Après le baccalauréat, je me suis inscrite à la faculté d'histoire, tout en intégrant le conservatoire. J'avais décidé que, dans le cas où je passerais avec succès le conservatoire, j'arrêterais mes études à la faculté. Au conservatoire national à Paris, cela avait marché pour moi. J'avais été reçue à l'unanimité. Tout s'est accéléré par la suite. Je suis rentrée au conservatoire en 1999, et je suis sortie en 2000/2001. Au moment où j'étais au conservatoire national de Paris, le directeur m'avait engagée pour interpréter Antigone, tandis que Coline Serrault m'avait engagée pour jouer dans le film Chaos. Finalement, je ne suis pas restée trop longtemps au conservatoire. A peine sortie de ce dernier en 2000/2001, l'administration de la comédie française m'avait fait rentrer en qualité de pensionnaire. Lors de ma première année de la comédie française, j'avais obtenu le César pour le rôle que j'avais joué dans le film Chaos, La révélation féminine, puis j'avais obtenu le prix Molière pour avoir joué dans un film de Victor Hugo en 2003. J'avais démissionné de la comédie française en mars 2004. C'est la première fois que je joue dans un film franco-algérien, et que pour la première fois, je tourne en Algérie. Voilà brièvement mon parcours. Ma réponse à votre question. Connaissez-vous l'Algérie ? Je venais en Algérie quand j'étais gamine. J'allais surtout à Oran. Mon père est originaire de Sidi Rached, wilaya de Tipaza, tandis que ma mère est Oranaise. C'est la première fois que je prends contact avec les Algériens. Ce film m'a offert l'opportunité de mieux connaître l'Algérie et de discuter longuement avec les Algériens. Toute l'équipe du tournage était extraordinaire. Je viens de découvrir mon pays. En France, j'étais fière d'être d'origine algérienne. Mais je dois vous avouer que, avant de débarquer ici en Algérie pour le tournage du film Barakat, je me suis posée des questions. Est-ce que je vais être capable de m'assumer en tant que telle ? Est-ce que cela va être à la hauteur des rêves que je faisais sur mon pays ? Cela m'était arrivé en tournant au Maroc. ça ne s'est pas bien passé quelquefois, dans la mesure où j'avais du mal avec ce côté trop insoumise et courber l'échine. En fait, après mon séjour en Algérie, je suis sincèrement ravie de mon pays et fière de mon peuple. Donc, je ne me suis pas trompée, surtout après les difficiles et tragiques périodes traversées par mon pays. L'Algérie et son peuple n'ont besoin de personne pour demeurer debout. Votre premier contact avec l'Algérie vous a conforté et mis en confiance ? Exactement ! Maintenant mes origines, je les tiendrai à bout de bras et je vous le répète, je suis bien fière. Avant de venir en Algérie, j'avais deux identités, une française et l'autre algérienne. Il y avait une dualité entre les deux. Mais depuis que je suis en Algérie, cela m'a fait beaucoup de bien et tout est rentré dans l'ordre dans ma tête. Je veux dire qu'il s'agit de deux pièces qui se sont bien épousées dans le puzzle. Le déclic s'est produit alors depuis que vous êtes en Algérie ? Absolument ! Il y a eu un soulagement de voir que la réalité est à la hauteur de mes rêves. Inconsciemment, j'ai toujours pensé qu'un séjour en Algérie valait la peine. Au terme de mon actuel séjour, je vous avoue que j'ai les armes et les arguments pour pouvoir défendre à bon escient mon pays, en galvaudant la réalité sans la trahir. Ce n'était pas le cas avant, car je l'ai défendu en ignorant la réalité. Franchement, en deux mois de présence en Algérie, vous prétendez porter un jugement personnel. Pourtant vous avez dit que vous êtes ici pour la première fois ? En Algérie, et c'est sincère ce que je vais vous dire, j'ai trouvé des gens qui ont une connaissance de l'histoire que beaucoup de jeunes en France ignorent, par rapport à l'image de la langue. En France, hélas, on n'a pas l'image de l'Algérien que je viens de rencontrer en Algérie. Il n'a rien à envier aux jeunes Français. Les jeunes ici connaissent profondément l'histoire mieux que les Vikings ou les Français de pure souche. Je parle de ce sujet par rapport à ma catégorie sociale et les personnes qui sont dans le même milieu que moi. Je suis de nature vivante. Lors du tournage, je me suis rendue compte que par rapport à ce qu'elles ont traversé et vécu, bien qu'elles n'aient pas assez de choses pour vivre, sont joyeuses, « zahyines ». C'est magnifique, après tant d'épreuves, elles sont debout. Comment s'est déroulé le tournage ? On a tourné avec beaucoup de gens qui ne sont pas des acteurs, qui habitent à Hadjout, à Merad, à Sidi Ghilès, à Chenoua, à Gouraya. Chaque région a son histoire. Bien entendu, si j'étais restée dans un luxueux hôtel d'Alger, je n'aurais jamais pu avoir cette opinion sur l'Algérie et son peuple. En étant dans des milieux pareils, en côtoyant les gens, cela m'a permis de connaître les transformations du pays. Le fait de parler avec les gens, j'ai appris encore plus sur l'Algérie. Ma vision globale est déjà faite. Il y a des séjours qui ne trompent pas à travers les regards, les paroles, les mimes. Vous me surprenez par vos propos, car si vous vous rappelez de notre premier contact, vous nous avez dit indirectement que vous avez des appréhensions ? Vous savez, je suis venue en Algérie en m'attendant à une image que j'avais reçue des médias en France. Après avoir vécu quelques semaines ici, je trouve que l'Algérie n'est pas un pays sous-développé comme les médias veulent nous faire croire. Certes, il a un contexte politique et sociologique. Les médias s'engouffrent tous dans la même voie sans avoir eu recours à connaître la vérité sur l'Algérie. J'ai rencontré des familles algériennes qui remerciaient l'armée pour les avoir protégé des terroristes, alors qu'en France des personnes font des efforts pour donner une autre information. Des militaires corrompus, je suis désolée, il y en a partout dans le monde. Mais en France, sans citer personne, dans les hautes sphères du pouvoir, on parle sur les responsables qui sont impliqués dans les affaires de corruption. C'est un phénomène qui se produit non pas uniquement en Algérie, mais à travers les pays du monde entier. Les images nous montrent que des « corbeaux » en Algérie. En me promenant à Alger, j'ai vu des jeunes Algériennes maquillées, belles et magnifiques qui marchaient dans les rues d'Alger sans aucun problème. Notre vision sur l'Algérie avait été complètement faussée par les images diffusées par les médias. Allez-vous à votre tour diffuser une image sur l'Algérie à votre retour ? Je viens de vivre la réalité algérienne pendant la durée du tournage du film Barakat. L'Algérie est un pays à qui on a voulu à tout prix lui coller une autre image. Or, en réalité, il est très beau. L'Algérie à mon humble avis ne pourra franchement jamais devenir comme l'Iran ou l'Afghanistan. Revenons à votre film Barakat, que vous venez de tourner Il m'a permis de me rendre compte de certaines choses. J'imagine les affres qu'avait subis Amel (nom de l'actrice dans le film). On peut facilement penser que cela pouvait se passer au Portugal, en Italie ou en Afghanistan. Sur certains points dans le film Barakat, compte tenu du contexte politique, j'ai revu mon jugement par rapport au scénario. Au départ, j'avais pris le scénario comme argent comptant. Mais dès que j'ai été confrontée la réalité, j'ai aussitôt revu certains jugements lors du tournage. L'histoire se passe en 1995. J'imagine très mal que deux femmes seules puissent partir au maquis à la recherche du mari journaliste enlevé par les terroristes, avec tous les risques que cela pouvait avoir. C'est un film de pure fiction. Je dois préciser encore que ce film ne raconte pas les événements qui ont eu lieu en Algérie. Je le répète, c'est un film de fiction. C'est un parcours de deux femmes, et il ne faut pas prendre ce film comme étant le récit d'une réalité d'une période donnée en Algérie. Je dois ajouter que les conditions du tournage étaient excellentes dans l'ensemble, bien qu'il nous ait été parfois difficile d'atteindre des sites enclavés dans les montagnes. Le tournage avait eu lieu même durant des nuits entières. Les autorités algériennes ont contribué à la réussite des conditions du tournage. Avez-vous déjà des projets en cours ? Avec Natacha Rainier et Julien Brosselier, je commencerai en septembre prochain un film français, dont j'ignore le titre. En revanche, il y aura 4 films qui sortiront bientôt. Il s'agit de L'enfant endormi, un film allemand, One day in Europe, le troisième avec Eric Cantonna, l'adaptation du film de Charlie Chaplin Lumière sur la ville et enfin le quatrième film français s'intitule La part animale. Acceptez-vous de revenir en Algérie pour tourner un film ? Evidemment, mais si je trouve l'histoire belle. Avez-vous rendu visite à vos proches durant votre séjour ? Je me suis rendue à Sidi Rached pour voir la sœur de mon père. J'étais très émue lors de ma rencontre avec ma tante, car je ne l'ai pas vue depuis plusieurs années. Je pense revenir dès cet été en Algérie. Actuellement, j'ai du travail qui m'attend à Paris. Mais, je pense m'installer en Algérie quand je ne travaille pas, histoire de me ressourcer. Eric Cantonna nous a déclaré que c'est grâce à vous... ? Eric est un être humain extraordinaire qui s'était exprimé bien avant que nous nous connaissions. Non, non, je n'y suis pour rien. Quel sera votre dernier message dans cet entretien ? Le seul message que je suis en mesure de transmettre maintenant, c'est que je viens de passer de merveilleuses journées. Je quitte l'Algérie tout en étant un peu triste. L'Algérie est un beau pays : sa jeunesse est magnifique et pleine de punch, qui fera, et je suis persuadée, beaucoup de bonnes choses. Je suis de tout cœur avec cette jeunesse algérienne.