C'est un phénomène rare, voire rarissime, d'entendre les gens d'ici désigner les choses et les lieux en termes anglo-saxons, légèrement modifiés, pour les assimiler à la langue locale. Aussi, n'est-il pas étonnant d'entendre les citoyens de Aïn Beïda désigner l'école par le vocable chcoula ou le maître par mistrou, le premier dérivant de school et le second de mister.L'usage de ces mots, semble-t-il, s'est imposé à l'usage et aux esprits depuis le fameux débarquement de l'armée américaine en terre nord-africaine, lors de la Seconde Guerre mondiale. D'autres mots, comme chewing-gum ou WC, sont communément d'usage à Aïn Beïda et partout ailleurs. Cela sans parler des dizaines de vocables empruntés au français et qui émaillent le parler local comme tomobile (automobile), triciti (électricité), jernane (journal), cousina (cuisine), etc. C'est dire à quel point le langage populaire est truffé de mots étrangers, de diverses origines. On n'y peut rien, d'autant que l'habitude s'est ancrée profondément dans les mœurs. On ne s'étonne plus d'entendre dans la rue les garnements désigner les fournitures scolaires dans la langue française. Il y a même des expressions qui sont une traduction littérale du français à l'arabe populaire. En voici quelques-unes : en évoquant une personne malade, on dit tah m'rid (tomber malade), ou encore, habet lebled au lieu et place de « je descends en ville ». Malgré certains changements, le centre-ville de Aïn Beïda a gardé son cachet de naguère, c'est-à-dire ses maisons et boutiques recouvertes d'un chapeau en tuiles rouges. Bâtisses héritées de l'ère coloniale, mais qui gardent, malgré la patine du temps, bonne mine. D'ailleurs, ces derniers temps, l'APC a entrepris la réhabilitation de certaines infrastructures, telles la salle des fêtes, la place des Martyrs et l'église. Un vrai lifting dont la ville a besoin pour retrouver son faste et sa splendeur d'antan. Rien que pour la salle des fêtes, il a été alloué la somme de 1 milliard de centimes. Bien sûr, la siègerie, la tapisserie des murs intérieurs et le décor n'entrent pas en ligne de compte ! Il leur faudra aussi un budget pour leur rénovation. Mais si la ville connaît un changement de l'intérieur, il n'en est pas de même pour la périphérie, où les poches vides sont transformées en dépotoir. Chose qui a fait dire à un citoyen : « Si ailleurs, pour tous les 5000 habitants il est prévu un jardin public, chez nous, pour le même nombre, il y a une décharge publique. » Ce qu'on ne comprend pas par-dessus tout, c'est le manque de civisme qui caractérise chacun de nous. Certains citoyens accusent les « arrivistes » d'être la cause de cette désespérante situation. Chose encore plus désolante, la ville ne dispose plus de lieux de spectacle. Il y a bien longtemps qu'on n'a pas vu passer une troupe théâtrale ou un chapiteau de cirque. Pourtant, avec plus de 130 000 âmes, Aïn Beïda qui dispose de deux salles de cinéma (malheureusement l'une est fermée et l'autre est en réhabilitation) peut jouer le rôle qui est le sien, pour peu qu'on réhabilite les lieux de la culture et les gens qui sont censés la mettre sur les rails. Pour l'heure, toutes les rues du centre-ville sont transformées en un gros bazar destiné particulièrement à la gent féminine. Souk Enssa, comme on dit, a pris une longueur d'avance sur celui des hommes. Ces derniers ont bien trouvé le leur, celui de Bir Ouanas, à 5 km de la ville. Chaque vendredi, on y va pour admirer voitures, habits et toutes sortes de marchandises. Tant que les poches sont vides, on se contente de regarder. Le nouveau spectacle est dans la rue. Sinon, y a rien à voir.