Lors de sa dernière conférence de presse, M. Medelci, nouveau ministre des Finances, un vieux de la vieille fraîchement débarqué, vient d'annoncer, entre autres mesures, une recapitalisation des banques publiques pour leur permettre de combler le déficit causé par les créances des entreprises non performantes. Piètre solution que même ma mère qui a autant de connaissances en matière bancaire que moi en physique nucléaire aurait trouvé. Il y a quelque temps, on aurait appelé ça autrement : le rachat par le Trésor public de créances douteuses. La première remarque ou plutôt interrogation que le ministre devrait élucider est le contenu réel de ces créances « non performantes ». Douteuses ou non performantes, il s'agit de créances difficilement ou pratiquement irrécupérables, et le Trésor public va encore injecter des sommes colossales générées par l'embellie pétrolière pour venir au secours de gestions chaotiques sans forme de procès. Cet entretien de banques budgétivores, qu'on réanime depuis toujours par la rente, vient reposer le traitement inégal des banques publiques et des banques privées. Trois banques privées ont fait l'objet de sanctions disciplinaires des plus radicales qui sont arrivées jusqu'à la solution ou dissolution finale, à savoir la mise en faillite. Beaucoup de commentaires sont possibles sur ces procédures qui ont touché des entités qui donnaient toutes les apparences de la performance. On reproche aux autorités bancaires la sévérité de leurs décisions, la radicalité des mesures et la célérité des procédures. Les dirigeants des banques soutiennent que les sanctions prises à leur encontre ne sont pas du tout appropriées et que leurs entreprises sont en bonne santé. Les autorités bancaires auraient fait une lecture dirigée de leurs bilans et prononcé des sanctions prises dans les arcanes politiques. On raconte par exemple que dans le cas d'espèce de la BCIA, les dirigeants de la banque n'ont même pas bénéficié du temps nécessaire à la préparation des réponses et à la présentation de la défense. Une véritable destruction d'empire, dans le cadre d'une procédure sommaire, par une commission bancaire composée de cinq personnes dotées de pouvoirs exorbitants, selon une procédure à sens unique, où la banque condamnée ne jouit pas de garanties de la procédure contradictoire. Une commission administrative composée de fonctionnaires désignés par le pouvoir politique et décidant sans appel, car ses sentences sont exécutoires. La mesure qui a touché la BCIA a été déconcertante par sa rapidité et son caractère sommaire. Union bank a battu le record des mesures disciplinaires. Entre temps, nous n'avons pas entendu parler de mesures similaires ayant touché des banques publiques. Doit-on déduire qu'elles sont toutes aussi bien gérées et toutes respectueuses de la légalité ? Sont-elles toutes aussi performantes et gérées dans la meilleure des gouvernances possibles ? On abhorre comme scandale national le chiffre des pertes causées par les banques privées au Trésor public, et on a peut être raison. Il serait tout aussi intéressant d'évaluer les dégâts causés par les banques publiques au Trésor public, pertes camouflées par les assainissements successifs dont ont bénéficié ces institutions avec les autres entreprises publiques qui ont englouti, pour leur survivance, des budgets étatiques. Les pouvoirs publics ont pris la décision hautement politique d'inscrire les banques publiques dans la liste de l'exception stratégique qui comprend toutes les entreprises qui échappent à la loi sur l'autonomie, c'est-à-dire qui continueront à bénéficier en tant que de besoin des subventions de l'Etat et du soutien du Trésor public. Cette alternative des pouvoirs publics place ainsi les banques publiques à l'abri de la sanction économique et les exclut de la faillite. Pour peu qu'elles soient relativement bien gérées, les banques, et notamment en Algérie où elles jouissent d'une protection du marché, ne risquent jamais de connaître des déficits. Une bonne gestion respectueuse des ratios de sécurité et des normes de prudentielles garantit à n'importe quelle banque une pérennité indéfinie, d'autant plus que les garanties juridiques exorbitantes sont accordées aux banques pour la récupération de leurs créances, aussi bien par la législation commerciale que par la législation pénale. Il suffit pratiquement à toute banque de transmettre une simple missive à son débiteur pour procéder à la réalisation des garanties, c'est-à-dire la saisie des biens que celui-ci a présenté en gage de ses créances. Un crédit bien accordé ne dépasse jamais en principe les biens saisissables de son bénéficiaire. Une autre protection pénale d'une grande efficacité est accordée aux banques à l'encontre des débiteurs qui se hasarderaient à dilapider, dissiper ou égarer les biens proposés en gage du crédit. Par ailleurs, les banques ont le droit de réaliser les garanties, même pour les créances contestables qu'elles fixent. Nous avons vu une banque mettre en vente des biens immeubles de son débiteur qui contestait d'une façon sérieuse le montant réclamé. Aucun magistrat n'a suspendu l'exécution d'une vente immobilière qui, si elle s'avérait irrégulière, causerait un grave préjudice à son auteur. En l'espèce, le débiteur présentait un procès-verbal d'huissier attestant le paiement d'une somme équivalent à la moitié de la créance. On voit mal comment une banque publique algérienne avec sa faculté de bien se faire rémunérer les crédits qu'elle accorde et les protections et garanties dont elle jouit pour récupérer ses créances peut se retrouver en déficit. Pourquoi les a-t-on inscrite dans l'exception stratégique ? N'est-ce pas parce que la banque est la seule entreprise qui peut prêter un milliard de dollars et le passer aux pertes et profits ? En dépit de cela, d'aucuns ont préconisé, et ils ont peut être été suivis, le rachat par le Trésor public des créances douteuses des banques. « Créances douteuses » est une rubrique comptable dans laquelle on peut fourrer le tout-venant des créances que la banque n'est pas sûre de pouvoir récupérer pour une raison ou pour une autre. On peut notamment y trouver les crédits accordés en dehors des normes prudentielles, c'est-à-dire dont les bénéficiaires n'ont pas présenté les garanties et les gages nécessaires à l'accord du crédit. Il s'agit des crédits accordés par des responsables bancaires complaisants ou complices. On y retrouve aussi les sommes dues par des entreprises à l'égard desquelles les responsables bancaires n'ont pas pris les mesures nécessaires en temps opportun. Ils ont attendu que l'entreprise et les créanciers disparaissent dans la nature pour se rendre compte et se mettre à chercher les garanties qui ont disparu depuis longtemps. On peut multiplier les exemples de créances à inscrire au passif du bilan des banques, du fait d'agents et de banquiers indélicats. Ce brouillard comptable peut aussi comprendre, avec une extension de l'interprétation, tout l'argent englouti dans les détournements, les malversations et la délinquance en tout genre. Des esprits bien éclairés ont ainsi décidé tout simplement une injection par le Trésor public de l'argent frais pour combler le déficit. Disons au passage que cette mesure est aussi déconcertante par son contenu que par la conjoncture où elle survient qui se caractérise par le phénomène des surliquidités. Pourquoi injecter de l'argent alors qu'il y en a en trop ? La réponse est que cette mesure a été préconisée non pas pour aider les banques créancières, mais pour absoudre les débiteurs. Il s'agit d'une véritable amnistie bancaire. Avec tout cela, peut-on soutenir que les banques publiques sont, elles, meilleures gardiennes du dinar public que les banques privées ? Enfin, pour terminer, rappelons que le chef du gouvernement avait pris la décisions de restaurer les banques publiques dans une quasi-situation de monopole en leur réservant exclusivement tout l'argent public. La circulaire avait été à un moment donné remise en cause par le ministre des Finances (M. Benachenhou) ; lamentable défaut de cohésion gouvernemental. Par ailleurs, la chasse aux sorcières qui s'est abattue sur les banques privées et les déboires que ces dernières ont connu a donné aux banques publiques un avantage psychologique certain. Une protection politique par l'exception stratégique, une législation accordant des privilèges exorbitants, protectrices à l'encontre des débiteurs et une protection du marché par une dernière décision hérétique et enfin une recapitalisation par le Trésor public de l'argent perdu. Pourquoi ce traitement inégal ? Publiques ou privées les banques sont le moteur, et font partie indistinctement du patrimoine national.