Madani Mezrag, chef de l'ex-Armée islamique du salut (AIS, présentée comme bras de l'ex-FIS, en trêve depuis 1997, autodissoute en 2000), a apporté hier à Alger un soutien « sans réserve » au président Abdelaziz Bouteflika (« que Dieu lui donne longue vie », répète « l'émir ») et à son « projet de charte pour la paix et la réconciliation », proposé à référendum le 29 septembre prochain. Un soutien qui date de 1999, date de la lettre adressée à M. Bouteflika par « l'émir » le soutenant dans son effort « d'arrêt d'effusion du sang ». « Invité » hier pour tenir une conférence de presse par l'Union nationale des associations et comités de soutien (UNACS, mouvement qui dit regrouper les supporters du Président), Mezrag a néanmoins nuancé son adhésion à la « charte » considérant qu'elle portait « l'empreinte des éradicateurs ». Il a dit déceler d'abord ces « empreintes » dans la « négation de la responsabilité » des agents des forces de sécurité dans les disparitions forcées. Second indice, selon lui : la « charte » charge le seul Front islamique du salut (FIS) de l'entière responsabilité de la crise. Il a dénoncé « l'exclusion de ceux qui ont appelé au djihad ». « Mais pour préserver l'Algérie, on peut accepter l'inexistence du parti », a-t-il poursuivi. « Le FIS a été entraîné dans la crise et a été assez bête pour le faire. Le régime est le responsable de cette crise », a soutenu Mezrag. « Les éradicateurs sont encore influents puisqu'il (le Président) dit que ce projet de charte est ce qui a été permis par les équilibres », a-t-il estimé. Bien qu'il se soit dit compréhensible des compromis de Bouteflika : « En 1999, il nous a dragués en disant que l'arrêt du processus électoral était une violence, qu'il comprenait ceux qui sont montés au maquis à cause de la hogra, qu'il y avait 15 chats qui gouvernaient le pays. C'était pour nous demander ensuite de descendre du maquis. Maintenant, avec cette concession aux éradicateurs, ils leur enlève une chose pour nous la tendre. » Est-ce cela le jeu des « équilibres nationaux » évoqué dans le discours présidentiel du 14 août dernier ? Un journaliste a demandé si Ahmed Ouyahia, chef du gouvernement, faisait par hasard partie des éradicateurs. « L'émir » a éludé la question. Pour préserver une « union sacrée » autour de la « charte » ? Peut-être. « Nous n'avons pas été consultés pour la rédaction de la charte, mais nous avions expliqué notre vision maintes fois », a précisé l'homme, barbe et toque militaire. Sous le portrait du chef de l'Etat, dans les locaux de l'UNACS à Alger, l'ancien « émir national » a affirmé que les Rabah Kébir, Anouar Haddam et les « chouyoukh » soutiennent la « charte » avec plus ou moins de réserve. « Le FIS a été victorieux en 1991, car il avait un projet qui correspondait aux demandes de la société. Il n'y avait pas que la barbe et le qamis dans le FIS. Tous ont adhéré : les femmes moutabaridjate (non voilées), les ivrognes et peut-être pire », avance Mezrag avant de poursuivre : « Le 8 avril 2004, le peuple a désigné celui qui répondait à ses demandes, surtout en ce qui concerne la réconciliation nationale, malgré les manœuvres de la presse. Même le FIS était resté spectateur. » Il a indiqué que 3500 éléments de l'AIS ont quitté le maquis suite à la loi sur la concorde civile et que ses cadres ont pu convaincre 1500 membres du GIA de « descendre ». « Convaincre les phalanges... » « Le plan était que nous restions avec nos armes dans le maquis pour protéger le peuple contre les massacres et convaincre les autres phalanges. Mais ce travail sur lequel on a eu un accord a été saboté par des parties. Des tentatives se sont poursuivies malgré tout », a révélé Mezrag qui a indiqué qu'une « commission de l'AIS est restée en contact avec l'autre partie de la trêve, l'état-major, plus précisément le DRS ». Il a déclaré qu'une réunion avec la « partie politique » a eu lieu, sans préciser de quel(s) responsable(s) de l'Etat il s'agissait. « Nous avions alors un problème, on a demandé à l'Etat de reconduire les articles 2, 5 et 7 de la loi sur la concorde (exonération des peines et mise sous probation). Mais les conditions ne le permettaient pas. Beaucoup ne sont donc pas descendus », a expliqué le chef de l'ex-AIS assurant que, grâce aux dispositions de la « charte », « 80% de ceux qui sont dans les maquis reviendront. Restera alors une minorité sans religion et sans principe qu'Allah et le temps finiront par décimer ». En juillet 2002, l'ancien chef de l'état-major de l'ANP, Mohamed Lamari, avait nié tout accord entre l'armée et l'AIS. « Aucun membre de l'ANP n'a pris contact avec cette organisation, à une seule exception, le 13 janvier approchant, lorsque j'ai chargé le général Fodil-Chérif d'aller à Jijel signifier à ces gens de déposer les armes, sinon ils seraient éliminés », avait déclaré Lamari. Selon Mezrag, le nombre d'éléments de groupes armés encore actifs seraient 200. « Il y en a beaucoup qui sont inactifs, dont le petit groupe d'El Ahoual à Relizane. » Et le GSPC ? « Ils ont une réceptivité pour descendre du maquis puisqu'ils sont très religieux... Leur descente est quasi acquise », a-t-il déclaré. Comment se passent les contacts avec ces groupes ? « Comme vous ne pouvez l'imaginer. Il y a des éléments qui montrent une volonté de combattre un siècle. D'autres nous traitent d'apostats. Mais parfois, ceux-là mêmes, après 24 heures, quittent le maquis d'eux-mêmes », a raconté Mezrag. « L'émir national » a-t-il renoncé au projet d'un Etat islamique ? Sourire. « Certains croient que l'Etat islamique, c'est dormir par terre, monter des chameaux et revenir des siècles en arrière. Non. Nous sommes pour un Etat d'ouverture, démocratique, dans le cadre des principes de l'Islam et du patriotisme », a-t-il proclamé. Malgré l'interdiction aux cadres du FIS de faire de la politique, Mezrag veut-il entamer une carrière politique ? « Au début non. Mais en voyant les arouch, ces traîtres, qui déchirent le Coran et veulent changer de week-end, activer sans problème alors qu'un parti populaire et qui croyait en l'unité de la nation a été interdit, quand je vois l'UDR... Le décret présidentiel de la grâce amnistiante (janvier 2000) me fait bénéficier de mes droits civiques et politiques. Pas dans le cadre d'un parti... Après le référendum... pour réclamer nos droits », a-t-il laissé suspendu. Fièrement, un organisateur de l'UNACS nous a annoncé que Madani Mezrag et Ahmed Benaïcha, ancien chef de l'AIS à l'Ouest, animeront des meetings de soutien à la « charte ». Vérité ? Justice ? Le premier aura lieu demain à Constantine, suivront Ghardaïa le 31 du même mois, M'sila le 8 septembre et Bentalha le 14 septembre. Activités sous le couvert de l'UNACS. Que répond Madani Mezrag aux critiques des associations de proches de victimes de terrorisme, de familles de disparus, des ONG algériennes et internationales des droits de l'homme, formulées à l'encontre de la « charte » ? « Ces gens-là ne représentent pas 1% de la population. Ils bénéficieront de l'arrêt de l'effusion du sang. La majorité des Algériens attend cette charte », a-t-il dit. La vérité et la justice ? Le fait que les éléments des groupes armés et les agents des forces de sécurité ne soient pas jugés ? « Justice et vérité ? Dans quel pays avez-vous vu ça ? Trop de sang. Qui sera jugé ? Impossible. Les choses se construisent sur des concessions », a répondu le chef de l'ex-AIS qui s'est dit prêt à comparaître devant n'importe quelle justice, « même devant Sharon », pour prouver qu'il avait « mené une guerre juste et à caractère humaniste ». « Il ne regrette rien. C'est de l'ordre de l'indécence », a chuchoté une journaliste à la fin de la conférence. Compromis. Impunité. Tels seraient les fondements même de la « charte » proposée aux Algériens.