Il était le doyen des artistes maghrébins et sans doute le moins connu d'entre eux, car Si Abdelkader est parti comme il a vécu, dignement et sans faire de vagues. Il a rejoint depuis hier deux de ses compagnons de route, décédés il n'y a pas longtemps, Rabah Bouaziz et Abdelmoumène Bentobbal, à l'âge de 99 ans. « Je mourrai en 2006 » (c'est-à-dire à 100 ans puisqu'il est né un 18 novembre 1906), aimait-il répéter aux rares visiteurs qui allaient encore s'enquérir de son état de santé depuis que le lit était devenu son meilleur compagnon ces dernières années. Au cimetière, ceux qui subsistent de ses compagnons d'armes de plus de soixante ans étaient présents : Mohamed Tahar Fergani et surtout Kaddour Darsouni, qui était inconsolable. Etaient présents aussi les nombreux élèves du cheikh, Salim Fergani, Kamel Bouda, Larbi Ghazel, Douadi Khloufi, Benhamoud Hamoudi et Toufik Touati. De Annaba, Layachi Dib a tenu à assister aux funérailles de Abdelkader Toumi pour un ultime hommage au maître de tous. Ce témoin du siècle a vécu toutes les péripéties artistiques et autres qu'aura connues l'Algérie. Son savoir, il le mettra au service de l'art, un savoir qui engendrera Fergani, père et fils. En parfait érudit du patrimoine musical constantinois, cheikh Toumi connaissait sur le bout des doigts tout ce qui a trait à la planète du hawzi, le zdjel et bien sûr le malouf dont les noubas n'avaient aucun secret pour lui. Après l'indépendance, il formera le Groupe constantinois aux côtés de Mohamed Hamma, El Hani Torchi, Belkacem Stofa, Abdelhamid Benserradj et Saïd Nacer, entres autres, et se distinguera avec sa parfaite maîtrise de plusieurs instruments. A partir de 1971, il se consacrera à la sauvegarde du patrimoine musical constantinois à l'instar des autres géants de la musique du Vieux-Rocher, tels Si H'souna, Maâmar Benrachi et Kaddour Darsouni. A noter aussi que, depuis 1962, il a exercé comme professeur de musique au sein de plusieurs établissements scolaires constantinois dont le dernier en date est le lycée Hihi El Mekki. Ignoré complètement par les autorités de la ville, Abdelkader Toumi n'a jamais rien demandé à personne et n'a, à aucun moment, été sous les feux de la rampe comme d'autres artistes sans aucune envergure. Nul à Constantine ne peut contester les compétences avérées de SI Abdelkader en tant que professeur érudit et une lumière dans son domaine. D'une humilité et d'une simplicité incroyables, Cheikh Toumi a tout le temps vécu « noyé »dans la foule parmi les siens loin des feux de la rampe à telle enseigne qu'on le nomma « le génie oublié ». Né à Constantine au début du siècle (1906), il fréquentera très jeune l'école Coranique, et apprendra par cœur le Saint Coran dès son plus jeune âge, ce qui lui vaudra de diriger la prière du « Taraouih » pendant de longues années dans les mosquées de la vielle ville sous l'autorité du Cheikh Abdelhamid Benbadis dont il était un élève assidu. Son esprit studieux et sa discipline de caractère lui permettent de décrocher à l'époque un « diplôme » en l'occurrence un certificat d'études primaires qui l'aidera beaucoup tout au long de sa vie professionnelle, qui était jalonnée par les tracasseries de l'administration coloniale. Adepte de la confrérie HANSALA, il y puisera la ferveur religieuse et la spiritualité dont il a toujours fait preuve ainsi que la base de son patrimoine musical qu'il aura à transmettre à plus de quatre générations successives. Parions que très prochainement un hommage lui sera rendu - à titre posthume, comme d'habitude. Mais ça, c'est une autre histoire qui se répète et qui se répétera encore longtemps.