Ghazaouet s'est levée le soleil sur le crâne, un tintamarre à la porte... Pourtant, le Tenerife, boat ferry espagnol, attendra tout le monde. M'enfin... H'mida Bergaoui, un cabas noir à la main, presse le pas en direction du port où déjà, nos compatriotes de l'Hexagone s'affairent à remplir les formalités des douanes. Les cris des bambins se mêlent aux sons saccadés des moteurs du Tenerife. « Déjà le retour ! », murmure H'mida à l'attention d'un compatriote qui essaie de faire des manœuvres pour engouffrer son véhicule dans le bateau. Une Espace immatriculée dans le 95 dont le porte-bagages, partiellement éventré, laisse entrevoir des paires de chaussures, des casseroles et une meïda. « Les choses se sont inversées, on ne ramène plus les objets d'Europe... Soubhan Allah ! » C'était la phrase de trop : l'émigré en sueur, ne réussissant toujours pas ses manœuvres, créant une sorte d'embouteillage, descend de sa voiture et tonne « t'achètes pas les sivounris, toi, spiss di counard va ! » Ouallah, si la fille Morjana de notre compatriote n'avait pas intervenu, H'mida, imperturbable, aurait reçu la meïda sur la tête. 14 h. Le Tenerife s'ébranle, « passa usted ! arriba ! arriba ! » (passez, en bas !), s'égosille un homme en tunique blanche. Des passagers, vu l'étroitesse des esaliers, y sont restés agglutinés. Sur le pont, le sac noir au pied, H'mida observe le rocher Les Deux frères disparaître cahincaha à l'horizon, lui qui a fait quatorze fois l'Espagne à l'époque où l'on se gavait de gruyère en Algérie... Les choses se normalisent à bord. Dans la classe économique, on dort à même le sol, « il faut reconnaître qu'il n'y a plus de bousculades à l'arrivée comme au retour, contrairement aux années précédentes, seulement parfois, ce sont les passagers qui créent des situations difficiles, mais bon... », confesse Mehdi Bouziane, un intellectuel de la banlieue parisienne qui retourne au pays chaque été. Le jean's délavé relevé jusqu'aux genoux, comme le faisait ma défunte mère avec sa abaya (robe arabe) pendant la traversée de l'Oued, Morjana arrive à hauteur de H'mida, occupé à couper un poulet aux épices acheté chez Hachemi à Maghnia « au nom de mon papa, je tiens à m'excuser pour l'incident de tout à l'heure », surpris mais galant, comme toujours, H'mida sourit et rétorque avec bonhomie « maâlich, moi aussi, je m'en excuse ». Il l'invite même à partager son poulet épicé. « Tu vas en France ? » dit-elle. Le Maghnaoui lui explique qu'il passerait dix jours à Benidorm. « Ah ! qu'est-ce que j'aime le pays de Picasso, ce cher Pablo », s'exclame la beurette. Et on ne sait qui a vendu la mèche, mais comme un bolide, le papa émigré atterrit sur le pont, de l'écume sur les commissures des lèvres « qui si qui ça, bablo et bicassou, qui si, dits bent el kalb ? » Puis, se retournant vers H'mida « Qui si toit, bablo ou bicassou ? Garr, spiss di sbagnoul ! » Morjana s'évanouit. Khalti Djouher, la maman, rapplique en catastrophe, pousse son mari et crie « riveille-toi, Morji chiri, noudi... » 20h. De loin, malgré le crépuscule, les immeubles illuminés d'Almeria se dessinent et se rapprochent. H'mida, en homme averti, prend son cabas noir et redescend les escaliers. « Espera usted ! no estamos illegando aun ! » (attendez, nous ne sommes pas encore arrivés !) Une bousculade se forme à la sortie. H'mida cherche des yeux Morjana. « Spiss di counard, spiss di sbagnoul ! », surgit devant la sortie ammi Mokhtar, l'émigré. H'mdia, qui a failli tomber à la renverse, ne pouvait souhaiter meilleur accueil en terre ibérique...