« Il n'y a pas d'amnistie générale ! Makache ! Seul Dieu peut l'accorder », a déclaré le président Abdelaziz Bouteflika, jeudi dernier, dans son discours de 46 minutes lors du meeting animé au stade du 8 Mai 1945 à Sétif devant un public estimé par les pompiers à 5000 présents. L'amnistie générale, à ses yeux, ne peut être proposée au plébiscite des Algériens qu'en « une seule phrase : êtes-vous pour ou contre ? ». Sans texte, sans charte », a poursuivi le chef de l'Etat du haut de sa tribune avec en arrière-plan un immense « naâm » (oui) en violet pâle. Le « projet de charte pour la paix et la réconciliation », proposé à référendum le 29 septembre prochain, n'implique pas, selon Bouteflika, la notion d'amnistie générale. Il confirme ainsi le constat des observateurs à la lecture du projet de « charte ». Que s'est-il passé depuis son discours à la nation du 31 octobre 2004 où le Président avait annoncé sa volonté d'aller vers l'amnistie générale ? Les « équilibres nationaux » dont il a fait mention le 14 août dernier, sans les identifier, ont-ils déterminé ce recul ? Ce compromis ? Mais surtout, que signifie exactement l'amnistie générale ? « Amnistier ceux qui ont causé la grande fitna ? », a lancé Bouteflika qui a pourtant défini par procédé négatif ce qui ne peut être l'amnistie. « Riyyah ! Ne bouge pas ! » Il ne sera jamais question, d'après lui, d'amnistie fiscale ou d'amnistie envers les harkis. « Les pieds-noirs, eux, peuvent rentrer et sortir. Nous sommes un petit pays, mais nous savons qui a fait quoi. Celui qui a fait du bien on le lui rendra, celui qui a fait du mal, nous ne lui ferons aucun mal », a dit Abdelaziz Bouteflika. Poursuivant l'exégèse de son projet de « charte », le Président a entamé un rappel « historique ». Il a nié, comme auparavant, qu'octobre 1988 était une révolution démocratique. Il a ajouté que les jeunes ont été « sortis », poussés à manifester. Par qui ? N'y a-t-il pas motif à éclairer la justice sur ceux qui ont « fait sortir » les jeunes ? L'opération de « maintien de l'ordre » qui a suivi les « événements » d'octobre 1988 avait fait 500 morts, de nombreux cas avérés de tortures et des estropiés à vie. Bouteflika semble reconduire ici la théorie du complot sans y apporter preuves ou éclairages. Une théorie aussi vieille que le système. La colère en Kabylie en 1980 et en 2001 ne portait-elle pas l'empreinte de la « main étrangère » ? Les citoyens en colère de Béchar-Jedid en juillet 2005 n'étaient-ils pas des « citoyens étrangers victimes de manipulation », comme l'insinuait le chef du gouvernement Ahmed Ouyahia ? « Nous sommes un peuple qui a besoin d'un ennemi extérieur pour s'unir. Dès que l'ennemi part, on ne pense qu'à soi », a dit, un peu plus loin, le Président. Pour le chef de l'Etat, la période coincée entre 1998 et 1992, qui a connu la naissance du multipartisme, du FIS, du DRS et d'une génération qui ne connaîtra que la guerre, a été « une période où a fluctué la corruption, al fassad, l'éloignement des préceptes de Dieu ». « Aucun courant politique, groupe, parti ou « réformateurs - et ils n'étaient que destructeurs - n'avait à commettre des actes terroristes qui ont détruit le pays et qui ont fait 100 000 morts parmi nos enfants, nos enfants, nos enfants », a affirmé Bouteflika avant d'interpeller un jeune debout : « Assis ! Assis ! Riyyah ! Ne bouge pas ! » « Le pays était dans une guerre civile », a indiqué le Président. « Le peuple était prisonnier, coincé entre un groupe qui voulait imposer un Etat théocratique, dawla kahanoutiya, et un groupe qui se disait laïque, îlmani. L'un promettait au peuple le Paradis... Mais d'où ont-ils eu les clés du Paradis ?! Les autres promettaient la modernité parce qu'ils ont appris trois lettres de français. La modernité n'est pas le cigare et la mini-jupe ! », a lancé le Président qui a proclamé : « Nous sommes tous, tous des musulmans. » La Constitution garantit pourtant la liberté de croyance et de culte. La nationalité algérienne est-elle conditionnée par une appartenance religieuse et de surcroît unique ? L'Etat islamique, selon Bouteflika, « ne se construit pas avec le pistolet et le sabre, mais avec la foi et la conviction ». La modernité, à ses yeux, se concrétise dans le « savoir et la technologie ». « Et nous en sommes loin ! », a-t-il ajouté. Il reste difficile de comprendre comment le projet de « charte » proposé par Bouteflika implique la responsabilité unique du parti dissous alors que dans ce discours de campagne, il répartit cette responsabilité entre les « théocrates » et les « laïques ». « Le peuple est resté prisonnier et il fallait qu'il impose sa volonté... Le Pouvoir a offert un peu de miséricorde... Nous avons trouvé avec la concorde civile une solution juridique et politique », a déclaré le Président martelant deux fois sa dernière phrase. Selon lui, il y avait avant la concorde 12 000 « pièces d'arme » dans les maquis et l'Etat a pu en récupérer 6000. TUTELLES LEVÉES ? « Puisque je parle de ceux qui se sont fourvoyés dans les maquis, je leur tends ma main s'ils n'ont pas commis de massacres, d'attentats à l'explosif ou d'atteintes à l'honneur », a lancé Bouteflika sans attendre le résultat du référendum du 29 septembre. « Qui m'a permis de dire cela ? Vous avez voté pour la concorde avec une majorité qui n'a d'équivalent que la majorité pour l'indépendance (référendum de 1962). En avril 2004, vous avez alourdi mes épaules par les 85% de vos voix. En 1999 et 2004, je n'avais pas le droit de pardonner », a poursuivi Bouteflika. « Nous pouvions, grâce au 85%, légiférer et faire passer les lois. Mais c'est une lourde responsabilité et Dieu demandera ce que nous avons fait de cette responsabilité », a-t-il indiqué. Le Président semble convaincu que ses paroles « sont sans effet aujourd'hui, car elles demandent une évolution des mentalités ». Le projet de « charte » est-il en avance sur son temps et sur l'Algérie et les Algériens d'aujourd'hui ? Une « charte », a-t-il confié, qu'il ne pouvait présenter devant le Parlement, car « elle traite de problèmes trop sensibles » évoquant le sort des familles de terroristes. « Nos problèmes ne seront réglés ni à Sant'Egidio, ni à Sidi Abbou, ni dans les réunions chaotiques avec des gens qui n'arrivent même pas à boire un café ensemble et qui devant les caméras se concurrencent qui est plus musulman ou démocrate que l'autre », a dit le chef de l'Etat. « Il faut se le mettre dans la tête une fois pour toutes : seul Allah peut ressusciter les morts », a déclaré Bouteflika évoquant le dossier des disparus, dont 6146 sont officiellement reconnus. « Il y a eu des dépassements et la justice les a sanctionnés et vont être sanctionnés », a-t-il ajouté en déclarant que certains des disparus sont au maquis, à l'étranger ou cachés. Clôturant le dossier des disparitions forcées imputées à l'Etat, le Président rend hommage à l'armée, les services de sécurité et les citoyens qui ont « permis que l'Algérie reste debout » poursuivant que le pays « n'a pas besoin de leçon de l'étranger ». « Le peuple est souverain, nous lui avons enlevé toutes les tutelles, votre choix est libre », a-t-il affirmé prévenant : « Ceux qui veulent que nous traînions dans les trous comme des rats peuvent voter contre. » L'Algérie, selon le Président, est un « pays faible ». « Le marché mondial va arriver, qui est le malin d'entre vous qui peut me dire avec quelle production nationale nous allons le concurrencer ? », a-t-il illustrer. Le Président des Algériens s'est également dit « fatigué » devant « ces jeunes qui vont à l'étranger après avoir été formés en Algérie au lieu d'être fiers de leur pays et rester manger les pierres ici ». Il a remercié Sétif pour son accueil. « Toutes les autres villes doivent venir à Sétif pour apprendre à être propres », a-t-il lancé en début de discours. « Voilà qu'il commence à nous insulter », a commenté un habitant de Bordj Bou Arréridj. Le discours terminé, les gardes du corps ont étroitement encadré le départ du chef de l'Etat qui se déroula sous les coups de baroud et les tubes pro-Président.