Après celui de la région des Lacs, celui de la belle nature vierge, celui de la capitale du corail, il y a un autre mythe qui s'effondre à El Kala : celui du poisson. Il n'y en a plus à El Kala, du moins sur les étals des poissonniers harcelés par les services d'hygiène avec lesquels ils jouent à cache-cache. Il faut se lever tôt, avoir de solides connaissances dans le milieu et être prêt à faire des sacrifices pécuniaires pour prétendre à un bon kilo de poisson, ou comme on le dit dans le jargon local : « un kilo de bon », c'est-à-dire de la crevette, du rouget, du merlan ou une pièce de pagre, du pageau, de chien de mer et autre dorade ou loup... Il y a une raison simple pour expliquer la rareté de certaines catégories de poissons quand la saison estivale bat son plein : la pêche au chalut est officiellement fermée pendant les trois mois d'été pour protéger la reproduction des espèces, c'est-à-dire la crevette, le rouget et le merlan pour ne citer que celles qui sont le plus connues des profanes qu'on ne trouve dans l'assiette du consommateur que grâce aux filières du congelé qui font florès. La pêche « au bleu », sardines, maquereau (cavale), bonite et le rare espadon est laissée libre de jour comme de nuit, car la biologie de cette catégorie le permet. Mais la petite pêche à la palangre, qui est une longue ligne horizontale qui porte plusieurs lignes verticales (empiles) munies d'hameçons, plus sélective et plus écologique, exercée par ce qu'on appelle pudiquement les plaisanciers, car les embarcations utilisées sont déclarées comme telles, rapportent des quantités importantes mais difficiles à estimer, car elles passent inaperçues. Elle approvisionne les restaurateurs locaux en été et plus régulièrement ceux de Annaba, de Skikda et de Constantine et même ceux d'Alger. « Elle est importante et il n'y a qu'à voir à la Douane ce qui est exporté vers l'Europe via la Tunisie, mais ce n'est rien devant ce qui est échangé en mer directement de bateau à bateau », nous lâche un exportateur excédé par cette concurrence déloyale qui ajoute : « Il faut aussi prendre en considération le fait que des pêcheurs se sont entre temps convertis dans le pillage du corail ».Il n'en demeure pas moins que pour le commun des mortels, à El Kala, c'est un luxe aujourd'hui que d'avoir du poisson au repas. Même la sardine se fait désirer. Elle atteint 120 DA le kilo. Un sacrilège pour une ville réputée pour son poisson.