La maladie infantile de l'impérialisme est en passe d'imposer au monde une conception particulièrement rétrograde et réactionnaire, voire anachronique de la politique. Voilà que le Vatican lui-même se prend à renouer avec la culture prosélyte musclée qui semble présager de futures croisades, mauvaise conscience et seconde mission obligent. Tournant le dos aux enseignements de Platon et de Locke, dont la Constitution américaine claironne être largement inspirée, l'actuel pragmatisme militaro-impérialiste US se nourrit ce jour des conceptions totalitaires et répressives de Hobbes tournant le dos à l'humanisme de Locke. Ce modèle impérialiste totalitaire tendant à devenir hégémonique et monopolistique au détriment de la vieille culture démocratique, certains Etats nés de la décolonisation y trouvent après les turbulences de fin de règne de despotes et de dictateurs, matière à inspiration pour conserver un brutal système dictatorial (présidentialisation outrancière, tribalisation de l'Etat, privatisation de ses institutions de décision et de contrôle, absence de libertés diverses, délétère état de siège, trucage des élections, caporalisation des syndicats et des institutions, concentration des pouvoirs au seul profit de l'exécutif, et enfin médiocratisation généralisée de la vie intellectuelle, culturelle et académique, chômage, répression appuyée, et enfin mafiosisation) imposé par une conjoncture de turbulence et justifié sous prétexte de terrorisme. Quant aux vendanges tardives d'une évangélisation renaissante, la conjoncture actuelle donne à cette dernière avec le terrorisme des Etats voyous qui prennent prétexte des résistances aux totalitarismes et aux projets dictatoriaux, des occasions de dangereuses et intégristes saintes alliances inquisitoriales. Quand le droit n'est plus respecté ni dans son esprit ni dans sa lettre, quand la justice symboliquement aveugle se met à se dérouler dans les ténèbres de la nuit, force alors est de revenir à ce jurisconsulte de talent qui fut l'initiateur d'une réflexion percutante sur « l'esprit des lois » et sur le principe démocratique de séparation des pouvoirs. Ainsi, Charles de Secondat Montesquieu se présente à nous aujourd'hui dans une conjoncture de totalitarisme agressif comme le digne continuateur et de Machiavel et de J. Locke, l'annonciateur de Rousseau et le précurseur de Kant. Il pose, dans la trajectoire de la philosophe des Lumières et des libertés, la cardinale question des lois et du principe de la légitimité dans un système politique donné, en somme moderne. Né dans une société de monarchie théocratique, en un moment de fin de règne absolutiste avec à la clé un réveil de la conscience historique et libertaire, en un lieu qui devient de plus en plus un carrefour des idées nouvelles, Montesquieu sent la nécessité de reformulation des véritables causes sociales, politiques et économiques qui fondent une révolution des systèmes juridiques et institutionnels qui régissent la société des hommes (et pas seulement la France hexagonale). Bousculant avec beaucoup d'intelligence et infiniment de finesse les vieilles conceptions des droits, le divin comme le régalien, qui donnent l'apparence que les lois sont contingentes et arbitraires comme des conventions ou des chartes, il met au jour le principe réel de l'origine de la loi comme subséquente à la liberté, et la liberté comme enjeu causal et conséquent de la vie sociale, toute vie sociale. Il établit de manière claire et nette que la loi dans son esprit et en sa lettre se doit d'être causale et non arbitrairement institutionnelle (opposable et/ou révocable selon la volonté et les besoins du gouvernant). Comme il arrive à déceler la règle systémique qui, par effet d'enchaînement, impose la réalité d'un ordre supérieur, celui de « la loi des lois » ou l'obligation d'un droit positif, un droit canon. Montesquieu révèle ainsi que, sans la liberté, aucun système politique de quelque nature (monarchique, despotique ou démocratique) qu'il puisse être ne saurait prétendre ni à la pérennité ni encore moins à la légitimité, car il se trouve être régi fondamentalement par la pratique et le principe de gouvernement des hommes (sujets et/ou citoyens). Inspiré davantage par Locke, Montesquieu, qui doit sa culture libertaire aux influences anglo-saxonnes, se démarque néanmoins de cet autre philosophe anglais Thomas Hobbes qui, lisant à sa manière Machiavel et dénaturant sa compréhension, aura fait reposer la nécessité de la loi sur le pouvoir de la peur et de la terreur (« l'homme est un loup pour l'homme », ce dont la morale libérale capitaliste naissante qui prend pour base éthique la loi de la jungle s'accommode). En se démarquant de ce scribe de dictateur et de despote, Montesquieu va pouvoir dégager la cause, principale à ses yeux, du besoin de loi à l'abri de la nécessité de terreur et d'Etat d'exception. La loi pour Montesquieu vise à préserver de toute peur ou de toute terreur contrairement à la conception qu'aura voulu imposer Thomas Hobbes quant à lui, de la crainte, de la peur et de la terreur comme assises principales de la loi. La loi, selon Hobbes, est répressive et dissuasive cependant que pour Montesquieu elle doit tout au contraire être la garantie contre l'arbitraire et partant la garantie de la sécurité du sujet comme du citoyen et enfin la garantie de sa liberté, sa liberté politique principalement, celle-là même dont dépend essentiellement sa sécurité. Montesquieu apporte alors au fondement du droit et de la loi une dimension modernitaire humaniste qui tranche avec la barbarie moyenâgeuse théorisée par Thomas Hobbes ou avec la prétendue ruse diabolique qui fut attribuée à l'humaniste italien Machiavel pour dénaturer et obscurcir à dessein son projet éducatif. L'apport remarquable de Montesquieu fut indiscutablement cette idée pourtant si simple mais combien difficile à mettre au grand jour que tout système sécuritaire repose sur la liberté du citoyen et non sur la coercition ni la terreur, fussent-elle celles de la loi, à plus forte raison quand cette loi est l'émanation d'institutions d'un gouvernement despotique et illégitime. Pour Montesquieu, la sécurité du citoyen n'est pas dans un état de siège ou d'exception mais dans un véritable Etat de droit. Voilà pourquoi les révolutionnaires de 1793 en recourant à l'état d'exception puis à l'état de siège pour faire face aux terrorismes des Vendéens et aux menaces et intimidations des coalitions impériales voisines (Angleterre, Autriche, Prusse), sortirent Montesquieu du Panthéon où les révolutionnaires de 1789 l'avaient fait entrer. Ironie du sort, ce défenseur acharné et intransigeant des libertés, dont le squelette fut exhumé, chassé du Panthéon et jeté à ronger aux chiens, n'allait pas tarder à démasquer la contre-révolution thermidorienne qui instaura un régime de terreur sous prétexte d'état de siège et d'exception, mais qui en fait prépara le coup d'Etat par lequel le petit général allait confisquer la révolution populaire pour instaurer un régime qui ruinera le pays en guerres de prestige et le démoralisa en une série de défaites de plus en plus sanglantes et de plus en plus démoralisantes. Donné en pâture aux chiens, Montesquieu qui avait osé dire : « Tout serait perdu si le même homme ou le même corps [...] exerçait ces trois pouvoirs, [...] celui de faire les lois, celui d'exécuter les résolutions publiques et celui de juger les crimes ou les différends des particuliers », allait rejoindre post-mortem le cénacle des grands cyniques, dont le plus illustre restera à jamais le libertaire Diogène le seul homme libre qui osa lancer à la face d'un Grand Empereur d'aller se faire voir ailleurs (voir chronique El Watan de A. Kassoul sur l'Ecole d'excellence ou le tableau de Raphaël, Montesquieu C. de S., De l'esprit des lois, 1748).