L'avocat et militant des droits de l'homme, Mokrane Aït Larbi, souligne que le projet de charte pour la paix et la réconciliation nationale est de nature à régler plus la crise sécuritaire que politique. Peut-on connaître d'emblée ce qui distingue ce projet de charte pour la paix et la réconciliation nationale des initiatives précédentes telles la loi sur la Rahma et la Concorde civile ? Ces trois initiatives visent un même objectif, celui de trouver une solution à la crise sécuritaire tout en se maintenant au pouvoir. Sur le plan des normes, les mesures de la Rahma ont été prises par une simple ordonnance du chef de l'Etat (Zeroual) en février 1995. Par contre, la loi de juillet 1999 sur la Concorde civile a été adoptée par le Parlement et par un référendum. Quant au projet de « charte pour la paix et la réconciliation nationale » qui sera soumis au référendum le 29 septembre et adopté par la force des choses, il constitue une base « légitime » permettant au pouvoir de prendre des mesures concrètes pour « la paix et la réconciliation nationale ».Sur le fond, l'ordonnance de février 1995 se contente d'énumérer des mesures de clémence à l'égard des personnes qui ont commis des actes terroristes. Cette ordonnance ne prévoit d'impunité que pour les personnes qui ont fait partie d'une organisation terroriste et qui n'ont pas commis de crimes, et les personnes qui auraient détenu des armes et les auraient remis spontanément aux autorités. Les autres membres d'une organisation terroriste qui demandent à bénéficier de ces mesures sont passibles d'une peine de 10 à 20 ans de réclusion criminelle selon les catégories. La loi de juillet 1999 a accordé des mesures plus larges allant de l'atténuation de peine, la mise sous probation, jusqu'à l'exonération de poursuites, tout en fixant un délai pour son application. Cette loi est venue légaliser un accord passé entre les autorités et l'AIS. Les mesures de la Rahma et de la Concorde civile sont des textes de loi appliqués par les tribunaux et soumis à l'interprétation des juridictions compétentes. L'application du nouveau texte, par contre, est laissée à l'appréciation du président de la République, et il n'y a, à mon avis, aucun organe de contrôle sur la conformité des mesures à prendre à la charte. Le deuxième chapitre portant « mesures destinées à consolider la paix » s'articule autour de cinq mesures « d'extinction des poursuites », deux mesures « de grâce » et une mesure « de commutation et remise de peine ». Ces mesures peuvent-elles, selon vous, suffire pour un traitement efficace de la crise ? Les mesures prévues par le deuxième chapitre du projet de charte pour la paix sont de nature à régler la crise sécuritaire car il s'agit de mesures d'amnistie déguisées. Même les personnes qui ont commis des massacres collectifs, des viols et des attentas à l'explosif dans des lieux publics pourront bénéficier de la huitième mesure qui prévoit des remises de peine pour les individus condamnés ou recherchés qui ne sont pas concernés par les mesures d'extinction de poursuites ou de grâce. Mais le règlement de la crise multidimensionnelle doit passer par un large débat public qui fait défaut aujourd'hui. Dans le même chapitre, où peut-on classifier des chefs terroristes comme Hattab et El Para ? Sauf erreur, les rédacteurs du projet de charte les ont classés dans la huitième mesure qui prévoit commutation et remise de peine pour les individus condamnés ou recherchés qui ne sont pas concernés par les mesures d'extinction de poursuites et de grâce. Le volet des « mesures destinées à consolider la réconciliation nationale » parle d'interdiction de toute activité politique pour les responsables de l'instrumentalisation politique de la religion. Quelles sont les personnes visées par cet article et quelle est la portée politique de cette interdiction sur la solution de la crise ? La Constitution interdit la création de partis politiques fondés sur une thèse religieuse, comme elle interdit toute propagande partisane portant sur la religion. Mais est-ce que ces dispositions de la Constitution sont respectées ? Est-ce que le pouvoir n'est pas en train d'utiliser l'Islam pour faire passer une charte politique ? Pour connaître les personnes nommément visées par cet article, il faut s'adresser aux autorités. Mais on peut constater aujourd'hui que les responsables du FIS dissous s'expriment librement à condition de soutenir l'initiative du pouvoir. Il n'y a que les démocrates qui sont exclus de ce débat. L'épineux dossier des disparus a été également traité dans ce projet de charte avec un engagement de l'Etat à prendre en charge le sort de toutes les personnes disparues. Est-ce que la problématique des disparus durant la décennie sanglante écoulée a eu toute l'attention qu'elle mérite ? Dans cette charte, l'Etat s'engage à prendre en charge le sort des personnes disparues et d'accorder réparation à leurs ayants droit. Mais il refuse toute responsabilité sur les disparitions. Face à ce drame, l'Etat doit assumer son devoir de vérité et de transparence. Et le peuple algérien, qui est appelé à adopter cette charte, doit connaître la vérité pour que ce drame ne se répète jamais. Quels sont les instruments juridiques nécessaires pour la mise en œuvre de ce projet de charte ? La mise en œuvre de la charte nécessite des mesures juridiques et politiques. Sur le plan juridique, il faut définir les modalités d'application des chapitres 2 et 4 notamment (Mesures destinées à consolider la paix et Mesures d'appui de la politique de prise en charge du dramatique dossier des disparus NDLR), ce qui est du ressort du Parlement qui va adopter tout projet de texte déposé par le Gouvernement. Comment penser le contraire d'un parlement qui a voté une motion de soutien d'un projet politique à l'ouverture de sa session sans débat ? Les mesures politiques doivent passer par la levée de l'Etat d'urgence, le respect des libertés publiques et individuelles, l'ouverture d'un grand débat public sur toutes les questions d'importance nationale et régionale, le respect du pluralisme politique, culturel, linguistique et syndical. Alors, est-ce que le pouvoir est prêt pour un débat contradictoire ? Quelles sont, justement, les conséquences qui peuvent découler de la fermeture des médias lourds sur des débats autour de ce projet de charte ? Un peuple souverain doit se prononcer sur les grandes questions en connaissance de cause, ce qui implique un débat contradictoire avant chaque référendum.Les partisans du Oui et les partisans du Non doivent avoir accès aux mêmes moyens d'expression : médias lourds, stades, salles. Ce qui n'est pas le cas aujourd'hui. Ceux qui soutiennent le projet de charte même par opportunisme sont considérés comme des « amis de la paix », et ceux qui ont une position différente sont considérés comme des ennemis à réduire au silence. La campagne actuelle rappelle les débats sur la charte nationale à l'époque du parti unique où les Algériens n'avaient le droit de dire que Oui. Par conséquent, cette charte vise une réconciliation entre le pouvoir et les islamistes pour régler les problèmes de pouvoir. Quant aux problèmes concrets et épineux du peule algérien, ils sont renvoyés encore une fois à une prochaine campagne.