Dimanche 14 août. La chaleur a été suffocante le jour. A Constantine, les gens profitent de la moindre douceur de l'air pour fuir vers l'extérieur. Même si la majorité de la population a pris congé de la politique durant cet été caniculaire, on attend quand même le discours annoncé du Président, pourvu que l'électricité soit au rendez-vous. La veille, la plupart des cités de la ville étaient plongées dans le noir durant une bonne partie de la nuit. L'exception deviendra d'ailleurs une règle, puisque le jour J, c'est une partie des quartiers de Daksi, Sidi Mabrouk et Boussouf qui se trouve privée d'électricité. Cela ne changera rien, puisque le discours présidentiel, passé dans une quasi-indifférence, ne suscitera pas les commentaires attendus le lendemain et même durant les journées qui suivent. La publication du texte intégral sur des pages entières de la presse n'aura pas l'effet escompté dans une ville qui compte de plus en plus d'analphabètes. Constantine, qui a connu une saison estivale des plus sèches en matière d'animation culturelle, vit déjà au rythme de la rentrée scolaire. Le seul fait de la semaine demeure la création d'un club de soutien à la réconciliation nationale dans le cadre hideux du centre hippique. Une composante fantomatique d'élus, de députés, de sénateurs et autres universitaires qu'on ne verra plus sur le terrain. Dans les cafés et les places publiques, où les supporters du CSC font le plein des fourmilières, les discussions tournent autour d'un football moribond, alors que les Mocistes, dont le club baigne dans le marasme, espèrent une saison moins cauchemardesque que la précédente. Abordés, ces jeunes ne semblent guère concernés par ce qui se trame surtout qu'ils n'ont jamais eu une autre raison de vivre que le ballon rond. Côté mobilisation, les choses semblent mal tourner. Le passage annoncé du Président après sa visite à Skikda le 20 août fera l'effet d'une immense déception. Une semaine plus tard, la rumeur faisant part d'un meeting que devait animer l'ex-chef de l'ex-AIS, Madani Mezrag, a fait le tour de toute la wilaya comme une traîné de poudre. La rencontre en question fut annulée dans des conditions aussi étranges qu'obscures. La révision des listes électorales, programmée entre les 17 et 24 août, n'a nullement connu un quelconque engouement. Un désintéressement plus qu'inquiétant chez la frange des jeunes désœuvrés et sans carte d'électeur et qui seront très nombreux à manquer le rendez-vous du 29 septembre. Au centre-ville, la vieille salle Issiakhem d'un centre qui a perdu depuis des lustres sa vocation culturelle a été spoliée pour servir de lieu de rassemblement aux opportunistes des campagnes électorales. On improvise pour en faire le site de la propagande. Comme si Dieu a créé les jeudis pour les pèlerinages électoraux, il faut attendre le 1er septembre pour assister à un premier meeting animé par le secrétaire général du FLN, Abdelaziz Belkhadem. On ramène un peu de tout pour faire le plein. Au moment où le RND et le MSP sont toujours muets et en l'absence permanente des autres formations politiques à Constantine, c'est le vieux parti qui se veut le meneur de la caravane. « Les gens ne savent plus sur quoi voter alors qu'un débat contradictoire et instructif est toujours absent », nous lance un vieux militant du FLN qui avoue ne pas comprendre la démarche de son parti. Au-delà de toutes les appartenances qu'on veut faire inculquer à tout prix, le projet sur la charte pour la paix et la réconciliation nationale demeure un principe flou au sein d'une population dépassée par un rythme de vie effréné. Même si chez la génération adulte, dont la majorité n'a pas pris soin de consulter le texte proposé à l'amendement, la tendance est beaucoup plus à la paix, la population jeune, toujours marginalisée et mise à l'écart, cultive le sentiment de n'être nullement concernée par ce bouillonnement d'idées qui se concoctent loin d'elle. L'événement marquant sera tout de même le fait des étudiants de l'université islamique Emir Abdelkader qui vit sur un volcan depuis la décision du gouvernement en juin dernier d'annuler l'enseignement de la charia au palier secondaire. Contre toute attente, ces mêmes étudiants, qui promettaient une rentrée chaude, ont fait un net recul, réconciliation oblige, alors que la plupart d'entre eux, toujours menacés par le spectre du redoublement, ont même pris un généreux et absurde engagement de faire expliquer le projet de la charte aux citoyens. Alors que la rentrée sociale s'annonce dure pour les moins nantis, les citoyens des autres communes déshéritées pensent déjà comment et par quoi remplir les ventres durant le Ramadhan qui approche, surtout que les commerçants se préparent à leur tour à les écorcher vifs. A Constantine, les jours se suivent, se ressemblent et n'apportent guère grand-chose. Au moment où les citoyens ne se sentent plus concernés par le référendum du 29 septembre, les adeptes du charlatanisme moins payant comptent beaucoup sur la visite très attendue de Bouteflika dans les prochains jours. Ce sera peut-être le dernier baroud d'honneur.