Le président de la République vient de signer une mesure de grâce individuelle au profit de Mohamed Abdelmoula, un richissime entrepreneur privé qui a accaparé les biens de deux sociétés de l'ex-Yougoslavie, Ingra et Hydro-élecktra, après qu'elles aient quitté précipitamment le pays à la suite de l'assassinat de 12 Croates à Médéa au début des années 1990. Le décret présidentiel « portant mesure de grâce », publié dans le Journal Officiel (n°56) daté du 17 août 2005, fait pourtant état d'une « remise totale de la peine d'emprisonnement » accordée à Mohamed Abdelmoula, condamné le 1 er juin 1999, à deux ans de prison par la cour d'Alger. Dans ce même décret, il est précisé que la mesure « de grâce » ou encore de « remise totale de la peine » a été décidée « après avis du Conseil supérieur de la magistrature ». Or, cette haute instance judiciaire n'a été installée que le 23 août 2005, soit dix jours après la signature de la grâce. Qui a donc pris la responsabilité d'émettre un tel avis à la place d'une institution en état de vacance ? L'autre anomalie relevée est d'ordre purement juridique. Le décret comporte des termes qui prêtent à confusion. Si l'on se réfère à l'intitulé du décret, il s'agit bel et bien d'une mesure de grâce. Cependant, une telle mesure, qui relève effectivement des prérogatives du président de la République, est accordée généralement après une condamnation définitive et généralement exécutée. Jusqu'au mois d'août dernier, Abdelmoula était toujours en liberté et sous le coup de la même condamnation, ainsi que d'autres non encore définitives. Elles sont toutes liées au lourd contentieux qui l'oppose, entre autres, aux sociétés Hydro-élektra, Ingra, Sotramo, à l'Agence nationale de l'eau potable (AGEP), au ministère de l'Hydraulique et aux services des Douanes. Le fond de cette affaire repose essentiellement sur la qualité de Abdelmoula, de propriétaire ou non des biens qu'il a accaparés. La cour d'Alger l'a condamné, en 1999, à 2 ans de prison ferme et à une amende de 6,7 millions de dinars au titre de dommages et intérêt pour « vol de deniers publics » à la suite d'une plainte déposée par l'AGEP. Une condamnation confirmée par la Cour suprême en 2001. La même cour a condamné Abdelmoula à une autre peine de 6 mois de prison avec sursis et à une amende de 738 millions de dinars dans le cadre d'une plainte introduite par les services des Douanes à la suite de leur constat d'une disparition d'un lot de matériel non dédouané estimé à 246 millions de dinars. Le dossier de Abdelmoula avait fait couler beaucoup d'encre avant d'atterrir, en 2005, sur le bureau du chef du gouvernement, lequel a instruit le ministère de la Justice, pour l'ouverture d'une enquête sur ce qui s'apparente à une grande opération d'accaparement de biens de la collectivité estimés à des milliards de dinars. En effet, ces biens, faut-il le rappeler, ont été introduits dans le pays dans le cadre du régime de l'admission temporaire (non concernés par les paiement des droits et taxes douaniers). Selon des sources judiciaires, le décret portant la mesure de grâce au profit de Abdelmoula comporte de « graves anomalies ». Nos interlocuteurs ont expliqué qu'il s'agit d'une « grâce individuelle dont le décret ne mentionne même pas dans quelle circonstance ou à quelle occasion elle a été accordée ». De plus, une telle mesure « intervient après une condamnation définitive et généralement exécutée. Or, pour Abdelmoula, cela n'a pas été le cas. Il est également important de signaler que le décret présidentiel fait état d'une remise totale de la peine d'emprisonnement. Ce qui, en terme juridique, est très proche de l'amnistie. Il y a une année, lorsqu'il a été élu, le Président avait signé une décision similaire mais qui a touché les détenus et non-détenus condamnés définitivement à une peine égale ou inférieure à 12 mois d'emprisonnement ». D'autre part, nos sources se sont interrogées sur « l'éligibilité » de Abdelmoula pour une telle mesure en disant : « Non seulement il accumule plusieurs condamnations dans le cadre du même dossier, mais en plus, même après la confirmation de la peine de 2 ans ferme pour vol de deniers publics, il est resté en situation de fuite. Ce qui fait de lui un justiciable qui ne présente pas des garanties pour une grâce. »