Le chef-lieu de commune d'Ouled Bessem est coquet à croquer. Les arbres qui longent la rue principale ont été tous taillés et peints à la chaux.La maison du poète - unique en son genre au niveau national - et qui se trouve au cœur de cette agglomération proprette, distante d'une quinzaine de kilomètres du chef-lieu de la wilaya de Tissemsilt, regorge de monde. Les aèdes, femmes et hommes, connus et méconnus, se succèdent sur la tribune pour déclamer leurs dernières créations face à un public où tous les âges se confondent. D'autres poètes se proposent de lire leurs œuvres aux clients du café qui jouxte la maison. Un poète tunisien, venu par ses propres moyens, lit, avec visiblement beaucoup de plaisir et sans papiers, ses tourments avec sa « Rachida » et sa « Naïma ». Leur dictaphone en éveil, les spécialistes en culture populaire, à l'image du docteur Driss Guergoua, tournent dans tous les sens pour ne rien rater de ce qui se dit dans ce village subitement harcelé de dizaines de poètes à la verve populaire. Cercle des poètes retrouvés Un peu à l'écart, autour d'une table, les membres du jury désignés pour départager les dizaines de postulants venus de pas moins de 22 wilayas, se concernent autour de la moisson de la veille. A l'orée du village, quelques centaines de mètres plus loin, les preux cavaliers, le costume impeccable et la tenue altière, attendent leur tour dans une discipline remarquable pour faire leur parade du « Goum » avec en fin de parcours la poudre comme cadeau. « Ils peuvent rester jusqu'à une demi-heure sur leurs chevaux pour voir leur tour arriver », explique El Hadj Lahcen, le maire du village, fier de l'ampleur qu'a prise la rencontre d'Ouled Bessam. Le président d'APC, ancien chef des patriotes dans cette région infestée de terroristes jusqu'à une date récente, a cependant le triomphe modeste quand il assure que le grand mérite dans la pérennité de cette manifestation culturelle, désormais régulière et non sujette aux sautes d'humeur, revient à Mokhtar Ahmani, l'ex-wali de Tissemsilt. « Il a beaucoup fait pour le développement de la région et pour le festival et nous n'avons pas le droit de l'oublier. Plus que les neuf walis que j'ai côtoyés en tant que maire depuis 14 ans, je considère que c'est le seul haut commis de l'Etat qui sait ce que la culture représente pour le peuple. C'est un véritable homme de chantier qui a une authentique fibre culturelle, c'est un vrai patriote, c'est indéniable », martèlera-t-il, quelque peu étonné par le non-maintien de son désormais ex-coorganisateur « efficace » de cette rencontre culturelle phare de ce village de quelques milliers d'âmes, niché au piémont des majestueuses montagnes de l'Ouarasenis. Une contrée définitivement sortie de l'anonymat. Immense ouaâda Déçu mais non abattu, El Hadj Lahcèn est le premier arrivé, après l'annonce du mouvement des walis, à la cour du lycée où se déroule, en soirée, l'essentiel des activités de ce quatrième Festival de la poésie populaire et de la chanson bédouine. Il veille à ce que tout se passe bien à l'intérieur de cette institution éducative de 1000 élèves à arceaux et au toit en tuille construite en 6 mois pour le grand bonheur des élèves et de leurs parents. Une immense tente, fortement enguirlandée avec cependant un maladroit et néanmoins sympathique dosage de modernité et de tradition, est dressée sur des tréteaux d'une trentaine de mètres de long et six de profondeur. La kheima accueille sans discontinuer, à partir d'un fond qui donne sur le préau, les concurrents et concurrentes aux joutes verbales « locales » et les orchestres traditionnels avec costumes et instruments « authentiques ». C'est Zohra Mebarek, l'animatrice - une véritable perle rare, à la voix radiophonique superbe, allure altière et diction châtiée - venue de Aïn Dheb, la porte sud du Sersou généreux, qui assurera l'ordre de passage des prétendants à la consécration venus du pays du Djurdjura, des contrées d'Ouled Djellal, des montagnes de Tlemcen, des oasis de Béchar, des vallons du Dahra, des hautes plaines de Bordj Bou Arréridj, des orangeraies de Blida, des côteaux de Médéa, des fabuleuses steppes d'El Bayadh, des palmeraies de Biskra, de Laghouat, la halte prestigieuse de l'Emir. Le jury, un peu maussade à l'image de Abdelmadjid Jdidi, visage fermé au sourire, composé d'une bonne brochette d'universitaires versés dans le domaine et d'amoureux sincères du patrimoine populaire, regarde sentencieusement les prestations des poètes et poétesses, chanteurs et musiciens de tous les âges et de tous les accoutrements, un peu brouillés avec les usages de la scène et les exigences du micro. Certaines troupes folkloriques montaient pour la première fois sur scène. La « halqa » millénaire cohabitait avec les tréteaux. Mieux que ça, confisquait l'espace tréteaux. L'assistance majoritairement jeune avec cependant une présence féminine assez conséquente, négligemment voilée, il faut le souligner, encourage ici et là ces manieurs de mots au niveau inégal mais tous animés du désir de séduire l'auditoire, bruyant par endroit il faut le reconnaître. Quelques jeunes se hasardent des fois à des tours de danse folklorique vite abrégés par un service d'ordre un peu trop voyant, aux abords de la piste qu'une rangée de fauteuils verts, alignés comme des soldats sans casquette, délimite. Hadj Lahcèn même contrarié par l'annonce du départ du wali avec lequel il venait de « passer cinq années de bonne et loyale contribution à la mise à niveau de cette wilaya longtemps oubliée », avait peur qu'on lui gâche la fête. Une fête de cinq jours et cinq nuits à laquelle assistera d'ailleurs en ouverture, notre sémillante ministre de la Culture accompagnée de madame la ministre de la Culture sahraouie. Khalida Toumi, qui avait, par ailleurs, annoncé la bonne nouvelle de l'institutionnalisation du festival, était tout simplement éblouie par la teneur culturelle et symbolique des promoteurs de ces journées irriguées de nos legs culturels populaires communs. L'illustre hôte de l'Algérie aussi.