Des frères, et je le répète, des frères, membres dirigeants du mouvement dissous, disent que je les ai lésés dans leur droit en leur interdisant l'activité politique. Je n'ai pas le pouvoir de vous léser ou de donner plus », a déclaré le Président Abdelaziz Bouteflika, hier lors d'un meeting au stade du 18 Février de Laghouat (410 km au sud d'Alger). S'adressant aux dirigeants de l'ex-FIS, dont « le projet de charte » prévoit l'interdiction d'activité politique, Bouteflika a demandé : « Croyez-vous que le peuple puisse oublier ou pardonner ? » « Il est impossible de faire revenir sur la scène ceux qui ont mis le feu au pays », a-t-il martelé. « Il ne s'agit ni d'un manquement ni d'une offense à eux (les dirigeants de l'ex-FIS). Il est demandé à chaque Algérien de payer l'impôt de la réconciliation nationale », a proclamé le chef de l'Etat. « Celui qui a perdu son honneur, qu'il l'oublie, celui qui a perdu un proche, qu'il prie pour lui », a ajouté Bouteflika. « Le contenu de la charte n'affame pas le loup et ne met pas en colère le berger. Il n'y a pas plus », a dit le Président devant un public ramené à grands renforts de réquisition de bus de Djelfa, d'El Bayadh et de Ghardaïa, en plus des Laghouatis. Ahmed Ben Chérif, natif de Djelfa, ancien commandant en chef de la gendarmerie et membre du Conseil de la révolution sous Houari Boumediene, était présent. « J'ai grandi dans les dédales de l'Etat, je sais ce qui est possible et ce qui ne l'est pas », a déclaré Bouteflika, faisant allusion, peut-être, aux fameux « équilibres nationaux », lignes rouges au contenu du « projet de charte pour la paix et la réconciliation nationale ». « Equilibres » qui restent inexplicables aux yeux de l'opinion nationale appelée à s'exprimer le 29 septembre et dont une partie, l'immigration (un million d'Algériens à l'étranger), a commencé à voter depuis hier. La tomate pourrie Le Président a appelé les présents à « saluer avec respect l'Armée nationale populaire et à lui rendre hommage », avant d'enchaîner qu'il « se pourrait qu'il y ait dans la corbeille une tomate pourrie, ce n'est pas une raison pour jeter toute la corbeille ». Evoque-t-il les allégations de dépassement ou de corruption à l'intérieur de l'armée ? « Affection et respect aux services de sécurité, aux citoyens et citoyennes qui ont offert leurs poitrines avant l'ANP et les services de sécurité pour défendre l'honneur et l'unité du peuple et du pays », a-t-il lancé sous une tempête d'applaudissements et de salves de baroud. « Des gens ont fait dans l'exégèse ; peut-être avaient-ils raison, peut-être non, mais concernant l'Algérie ils avaient tort (...). Ils ont débattu en égorgeant des enfants et des vieillards, ils ont débattu en usant du pistolet et du poignard, du terrorisme (...). Ils se sont égarés et croyaient aller au paradis en défendant une cause. Peut-on aller au paradis en égorgeant des enfants ? ! », a lancé Bouteflika. Opérant un retour à la genèse de la crise, il a brocardé la « démocratie anarchique de la fin des années 1980 », évoquant « les manifestations de 1988 et ce qui s'est déroulé comme manœuvres avec les questions de l'Etat ». « La démocratie anarchique a créé des conditions permettant de dire que la violence fait partie de la démocratie », a-t-il dit ajoutant que « celui qui a employé la violence s'est éloigné de la démocratie ». A ses yeux, « les démocrates sont tombés dans le piège et ont combattu la violence du pistolet, du couteau et des explosifs, en usant de paroles et de paramètres ». Les démocrates auraient, selon lui, « mangé la chair de leurs frères, allumé le feu du terrorisme et ont jeté de l'huile sur le feu ». Il a répété que les Algériens ne voulaient « ni d'un Etat islamique ni d'un Etat laïc », rappelant que la Constitution consacre l'Islam « religion du peuple ». « La même corbeille » « Je fais partie des familles de disparus. Mon neveu a disparu (dans les années 1980, selon ses déclarations précédentes). Je ne sais si c'est le terrorisme ou une partie qui l'a pris. Mais cette profonde blessure m'autorise-t-elle à mettre à feu l'Algérie d'est en ouest ? ! », a déclaré Bouteflika. « Ceux qui sont absents sont tous chers à nos yeux parce qu'ils sont Algériens, les bons et les mauvais. Je demande au peuple de mettre tous les disparus dans la même corbeille et qu'il les qualifie de ‘‘victimes de la tragédie'' », a-t-il proclamé avant d'affirmer que l'Etat trouvera une « solution juste » à « toutes les familles des disparus ». Il a attaqué « des voix » qui, selon lui, « travaillent d'avant l'Indépendance pour salir la réputation de l'Algérie ». « Ce n'est pas grave, nous sommes en démocratie. Chacun à sa religion et la nôtre c'est l'Algérie avant tout », a lancé Bouteflika sous les « One, two, three, viva l'Algérie ! » des jeunes sous le soleil. Il a rappelé les « réalisations » depuis son premier mandant. « En avril 2004 (date de sa réélection), le peuple, intelligent et généreux, a reconnu qui travaillait et qui jouait de la flûte. Ces derniers ont demandé au peuple de rester chez lui », a-t-il lâché. Il a rappelé son souhait de voir le oui l'emporter le 29 septembre. « Mais je l'affirme, comme à chaque festival populaire, nous ne devons pas oublier que nous sommes dans la République algérienne démocratique et populaire. Je dis ‘‘démocratique''. Celui qui est contre la réconciliation, c'est son droit. Et nous n'appliquerons que ce que décide la majorité écrasante », a lancé le chef de l'Etat. « On m'a dit : ‘‘Lance l'amnistie générale''. Mais je ne suis pas un prophète. Vous refusez ce qui est proposé à vous aujourd'hui, vous l'accepterez demain. La solution est en Algérie et non dans des capitales lointaines ou amies », a ajouté Bouteflika. Fin du meeting. Parmi les banderoles en faveur de l'initiative présidentielle qui parsèment le stade, on en aperçoit une : « Le RCD, bureau régional, est avec la réconciliation nationale ». Dehors, cohue autour des bus. Le chef de l'Etat a quitté Laghouat, hier soir, après un crochet par Aïn Madhi pour se rendre au siège de la zaouïa Tidjania.