Des gourbis détruits, des habitations précaires et fantomatiques, des pans de mur à peine debout, en parpaings brisés, troués, ou en blocs de pierre, çà et là, quelques maisons à moitié finies et des semblants de vergers aux arbres rabougris, le tout planté, comme un décor irréel, dans un environnement hostile de pierraille et de broussaille, parmi des monolithes ou mégalithes, d'où tire son nom le lieu visité, la mechta de Hadjar Mengoub. On est dans la commune de Belkheir, à seulement une dizaine de kilomètres de la ville de Guelma, sur les contreforts de la Mahouna (1411m). Solitude champêtre et désolation. Pas l'ombre d'un être humain. Puis, un jeune fellah paraît, l'air méfiant. Hésitant, il demande : « Vous êtes les agents de Sonelgaz ? » - « Non, pourquoi ? »- « Parce qu'on ne nous a pas encore amené les factures. » Ayant su notre profession, sa luette se délie à peine, répondant à nos questions. Qui a dit que les fellahs sont retournés à leurs pénates ? Dans la campagne de la wilaya de Guelma, où pourtant le terrorisme ne sévit pas autant que dans d'autres régions, les douars et les mechtas sont toujours en partie désertés par leurs habitants. Des actes terroristes y ont eu lieu il y a quelques années, ayant coûté la vie à trois personnes. Dans les mechtas de Hadjar Mengoub, Chaâbet Errich et bien d'autres encore alentour, rares sont les gens qui circulent. De temps en temps, un berger, silhouette solitaire, dévale ou arpente les pentes derrière son troupeau. Dans la première mechta nommée, l'annexe de l'APC n'est plus qu'une épave de bâtisse truffée de trous à la place des fenêtres. Plusieurs programmes incitant au retour des paysans et éleveurs n'y ont pu rien faire. Tahar, 40 ans, père de deux enfants, avoue qu'il y vit en célibataire, que presque chaque paysan est obligé d'avoir deux domiciles, celui du douar et un autre en ville ou précisément au village. Bien qu'ayant été armés, rares sont ceux qui passent la nuit dans leur domicile. Lui, il était obligé de quitter le douar, car l'école rurale de deux classes, implantée dans la mechta, avait fermé ses portes, bien avant la nébuleuse du terrorisme, du fait du nombre réduit d'élèves. Il nous dira : « La nuit, vous ne savez pas à qui vous avez affaire, aux terroristes, aux voleurs de bétail... » L'école ou ce qui en reste, on la reconnaît facilement. Seule, la carcasse reste debout. Pas de portes, ni fenêtres. De longilignes eucalyptus ombragent le terrain devant faire office de cour, face aux salles de classe ; le tout est ceinturé d'une clôture de grillage tordu. Sacrifier la vie scolaire de ses enfants ou sacrifier sa vie en famille, Tahar a préféré cette dernière alternative. Installé dans le village de Belkheir, il vient quotidiennement dans ses pénates pour y pratiquer l'élevage et l'agriculture de montagne. Seules quelques vieilles personnes vivent encore dans ces mechtas. Evidemment, question de travail de la terre, si les familles, dont les membres sont dans la force de l'âge, ne vivent pas dans des conditions de sécurité et de stabilité, il ne faut pas s'attendre à grand-chose. Il n'y a même pas d'eau potable dans cette mechta, la plus importante du douar. La fontaine publique n'en est pas une, puisque cette petite construction, si elle existe, ne sert à rien : elle est asséchée. Des dizaines de milliers de dinars sont consommés à chaque fois pour sa réparation, mais l'alimentation ne dure pas longtemps pour s'arrêter définitivement, nous dira un habitant. Parfois, c'est une grenouille ou un rat qui bouche la drôle de conduite devant y amener l'eau potable, et on n'a plus d'eau. Et chacun se démène comme il peut pour s'approvisionner. Dans cette mechta, la seule chose qui attire inévitablement l'attention du visiteur, car altérant l'ensemble, ce sont les espaces bien visibles, bien délimités, bien peinturlurés et tout proprets, qui sont tracés sur une façade d'une bâtisse abandonnée et qui doivent servir à l'affichage lors des échéances électorales.