Le mandat que donne la charte au Président s'apparente à un transfert de souveraineté. Abstraction faite des soupçons de fraude et de toutes les irrégularités qui auraient pu entamer la crédibilité de ce référendum, Abdelaziz Bouteflika vient d'arracher un quitus populaire qui pèse 97,95% des suffrages exprimés. Un score nettement supérieur à celui (95%) distillé à la veille de cette importante consultation populaire. Tout-puissant, le président de la République l'est désormais plus que jamais, puisqu'il vient d'être plébiscité à travers sa charte, plus qu'il ne l'a été lors de sa réélection en avril 2004. Désormais, le chef de l'Etat pourrait mener la maison Algérie à sa guise sans avoir à en référer aux forces occultes ni à composer avec d'autres décideurs. Il ne devrait pas non plus invoquer les “équilibres” pour justifier ses choix politiques et économiques à venir. Théoriquement libéré de toutes les pesanteurs, Bouteflika, qui a soigneusement injecté dans la charte pour la paix et la réconciliation une demande expresse de transfert de souveraineté, devrait maintenant pouvoir viser, sans contrainte, ses desseins. N'ayant jamais caché son désir d'élargir ses prérogatives, la révision de la Constitution compte parmi les intentions du Président. Le passage qui, dans la charte, dispose que “le peuple mandate le Président à prendre toutes les mesures…” (sic) a à ce propos de quoi inquiéter. D'abord ce mandat s'apparente, comme il a été interprété à juste titre par les leaders de l'opposition, à un véritable transfert de la souveraineté populaire au profit de la personne du Président. Ensuite, le passage en question pèche par une imprécision qui, si elle est volontaire, en dit long sur les intentions du chef de l'Etat. Quelles sont donc “ces mesures” mystérieuses que Bouteflika entend prendre ? Le flou est sans doute savamment entretenu de sorte à obtenir le blanc-seing sans avoir à exposer sa démarche future. C'est que, dès aujourd'hui, le Président peut à loisir prendre n'importe quelle décision de quelque nature qu'elle soit sans qu'on puisse lui opposer quelque objection. Et pour cause, il exhibera, à raison, le mandat de ses 97,95% de oui qui l'affranchissent de toute tutelle et qui l'immunisent contre toute remise en cause ou contestation. Nul n'est désormais censé ignorer le contenu de la charte. Lui-même a invité les citoyens à la lire “entre les lignes” parce que, effectivement, il y a dans la charte une espèce de vente concomitante. Une face visible qu'est la paix et une face cachée que sont les nouveaux pouvoirs du Président. Et à y voir de près, le plébiscite populaire inquiète plus qu'il ne rassure. Si les Algériens, tous les Algériens, doivent applaudir la paix d'où qu'elle vienne, s'il s'agit d'en finir avec les années de braise, ils se tiennent le ventre sur ce que sera demain. Ils appréhendent légitimement que le Smig démocratique arraché de haute lutte ne soit sacrifié sur l'autel d'une ambition de pouvoir, fut-elle celle du président de la République. Quel avenir pour le pluralisme politique en Algérie ? Que sera la liberté d'expression et de la presse sous le règne d'un Président investi de pouvoirs sans limite ? Va-t-on assister prochainement au blanchiment définitif de tous les responsables de la tragédie nationale ? Doit-on surtout renoncer à l'idée d'alternance au pouvoir qui constitue le fondement de la démocratie ? Les alliés de Bouteflika parlent déjà de troisième mandat, voire d'un septennat ! C'est là un des dommages collatéraux d'un référendum-plébiscite qui n'annonce pas forcément des lendemains qui chantent pour la République. HASSAN MOALI