Il y a quelques années, Rachid Taha reprenait Ya Rayah (« candidat à l'exil, tu auras beau voyager où tu veux, un jour tu reviendras à ton point de départ »), l'un des titres majeurs de Dahmane El Harrachi. Pour les plus jeunes, ce fut la découverte de ce grand artiste qui a su résumer le cours d'une destinée, la sienne. De sa voix rocailleuse, il chantait les classiques du chaâbi avec une interprétation moderne. Elégant et sympathique, il était surnommé Aznavour dans le milieu artistique. Il aurait tout aussi bien pu porter le nom d'un bluesman du Mississipi. Dahmane El Harrachi qui incarnait la modernité, s'est imposé par de nombreuses compositions, habitées par la silhouette d'Alger la Blanche, par les visions de femmes aussi gracieuses que la perdrix et aussi fines que la colombe, ou hantées par la plus grande des solitudes, due au déracinement. C'est ainsi que son vécu a imbibé son parcours artistique, traduisant toutes les déclinaisons de « l'immigritude ». Observateur attentif et vigilant du milieu de ces travailleurs appelés à « construire des maisons qu'ils n'habiteront jamais » ou des autoroutes qu'ils n'emprunteront pas, Dahmane a toujours évité de tomber dans le misérabilisme alors ambiant. Pessimiste gai, il disait des choses vraies et belles. Sa musique, bâtie autour du chaâbi, il usait beaucoup de proverbes et de dictons puisés dans la tradition algérienne. Le chaâbi tel qu'il a été « institué » par El Anka regorgeait d'allégories émises en semi-dialectal et de citations puisées dans le melhoun, celui de Dahmane usait d'un parler simple de tous les jours, compréhensible par l'ensemble de la communauté maghrébine, l'une des raisons de son large succès. EI Harrachi a eu droit à sa première scène digne, lors du Festival de la musique maghrébine qui s'est tenu à la fin des années 1970 à la Villette. En Algérie, terre qu'il n'a jamais cessé d'évoquer à sa façon joliment imagée, il fera deux apparitions avant de connaître une fin tragique, le 31 août 1980, dans un accident de voiture sur la corniche algéroise qu'il sublimait par-dessus tout. De Dahmane, il nous reste un vaste répertoire dans lequel ont puisé de jeunes artistes qui admirent cette figure inestimable.