Les jardins et les places publics de la capitale sont occupés régulièrement par de vieux retraités, qui vaquent à la cadence de quelques divertissements, qui leur sont affectés à l'automne de leur vie. La préférence pour les places publiques n'est pas fortuite, étant donné que le choix répond particulièrement à un désir de récréation face à l'indisponibilité des jeux de société à l'intérieur des salles de cafés de la ville. Les cafés ne sont plus, à de rares exceptions près, ce qu'ils étaient. Les établissements que l'on appelaient « les cafés maures », étaient des espaces de rencontres et de convivialité destinés exclusivement à la gent masculine et malheur aux jeunes qui d'aventure s'y hasardaient. Une tasse de café chaud et fumant apaisait les rancœurs tandis que le thé à la menthe scellait des liaisons d'affaires et d'alliances de tout genre. Mais il n'en continuait pas moins, que l'exaltation redouble de fougue au fond de la salle, où s'élèvent les clameurs des passionnés de la théorie des dominos et les sarcasmes des perdants, qui doivent s'acquitter, la mine froissée, de « la tournée de table ». C'est pourquoi il est naturel que les éternels rivaux de l'« indétrônable » qaçida El qahwa ou latei , du regretté chanteur chaâbi Hadj M'rizek, avait chacun ses vertus curatives. Or rares sont les cafés maures et leurs corollaires de jeux et de convivialité, qui subsistent encore à l'ère implacable de la cupidité rampante. Dans une certaine mesure, les estaminets, qui ont résisté vaille que vaille à l'esprit lucratif, connaissent néanmoins une notoriété incontestable. Pourtant dans le livre de Marcel Emerit, intitulé Les Quartiers commerçants d'Alger à l'époque turque, l'auteur écrit : « Le touriste qui débarque à Alger ne manque pas d'aller visiter le quartier arabe appelé improprement La Casbah et convient sans peine que c'est l'un des plus pittoresques échantillons de la vie orientale qu'on puisse trouver en Afrique du Nord. » C'est précisément à la Basse Casbah qu'est tombé le dernier bastion des hôtes de l'antique médina baptisé par les Casbadjis « qahouat El Bahdja », sis à la z'niqat ellouz. « qahouat El Bahdja » était aux Algérois ce qu'était Tontonville aux Français d'Algérie (les pieds-noirs) bien avant sa transformation en magasin de... prêt-à-porter. Un déclin au demeurant prévisible après la disparition des cafés traditionnels ou se réunissaient les « f'nardjia » (les allumeurs des réverbères) et « El Afroune », du nom du tenancier. Cafés-fast-foods Les populaires « qahouat Laâriche » et de « Bouzourène », sis à Bab Edjedid dans la Haute Casbah, plus exactement au boulevard de la Victoire, sont par contre toujours debout en dépit des vicissitudes du temps et des hommes. Malheureusement, rares sont les cafés maures qui subsistent encore. De toute façon, la mosaïque d'estaminets, qui se défendent encore contre l'esprit mercantile ambiant, connaît néanmoins une notoriété incontestable. D'ailleurs, c'est le cas du légendaire café « Tlemçani », situé à proximité de l'Amirauté sis au quartier de la Marine, qui portait autrefois le nom de « Triq bab el Dzira ». Au quartier de Zoudj Ayoune, le splendide café Malakoff, avec sa gracieuse galerie d'art aux effigies des chantres de la musique chaâbi, fait encore de la résistance face aux chants des sirènes. Son opposition au gain facile, lui a valu présentement la fidélité des fans de nos chers disparus Cheikh Nador, Hadj M'rizek et Hadj M'hamed El Anka. L'effet de contagion s'est propagé jusqu'aux hauteurs de la capitale, notamment à El Biar, ou aucun café ne propose de jeux de cartes ou de dominos. C'est la raison pour laquelle les hommes âgés du quartier se retrouvent chaque jour devant le centre culturel autour d'interminables parties de dominos. Longtemps avant sa déchéance, le café Oriental d'El Biar, a connu son heure de gloire avant qu'il ne se métamorphose dans le genre « achrab ouahrab ». Peu à peu, l'effet de contamination a touché également l'inoubliable et tumultueux Café de la jeunesse et l'ancien cercle du club local la Jseb, qui abrite actuellement le siège d'une agence de la Cnas. Depuis quelque temps déjà, des salles de cafés froids et quelconque dans leur aménagement poussent comme des champignons dans tous les coins des quartiers de la ville. La tendance est au service rapide. A cette occasion, bon nombre de ces établissements n'ont même pas de table, ni de garçon de salle. Les toilettes sont inaccessibles aux consommateurs dans plusieurs cafés ou alors elles sont carrément inexistantes. Les consommateurs prennent leur café à même le comptoir, debout, avant de déguerpir. La rue Le point le plus important reste toutefois l'absence de jeux, ce qui ne permet pas les rencontres entre, surtout, les personnes âgées. Ce qu'il y a de sûr, nos braves petits vieux, sont contraints d'occuper les jardins et les trottoirs pour s'adonner à leur jeu préféré. Une cinquantaine de vieux habitant la place du 1er Mai se réunissent chaque jour au 8e Groupe autour d'interminables parties de dominos. Leurs concitoyens du Ruisseau occupent de leur côté le jardin Tripoli pour le même motif. A Kouba, seuls les cafés 45 et du Centre semblent défier le temps, alors que les gens âgés habitant la commune de Oued Koriche (ex-Climat de France) accaparent la place du marché Saïd Touati. Situé au square Port Saïd (ex-Bresson), à l'angle de la rue Abane Ramdane, le café, d'un décor nostalgique et avec plusieurs garçons de salle, affiche toujours complet, notamment ses parties interminables de dominos et des jeux de cartes. Le café La Pêcherie est devenu l'antre des adeptes du « double six ». L'ambiance est festive, les vieux occupant la grande salle, s'étirent confortablement sur des chaises en bois et jouent tranquillement aux cartes sous l'œil passif de quelques spectateurs. Une deuxième salle est « réservée » aux amateurs, plus souvent des jeunes, qui, loin des regards, s'initient dans le calme aux règles du jeu. Djamel Chafa, Nazim Djebahi