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Hommage à Jean-Paul Sartre
Publié dans El Watan le 13 - 10 - 2005

cette rupture avec la philosophie et la littérature et cette entrée dans l'arène politique de plain-pied et sans aucune hésitation vont catapulter Sartre dans ce prolétariat qui l'a tant attiré, fasciné et complexé.
Ce sera « l'intervention sociale » à la Sartre parce qu'aucun artiste n'a eu le courage d'agir de la sorte : larguer les amarres, rompre avec la bourgeoisie qui l'a toujours écœuré et révolté ; dépasser le concept de l'intellectuel engagé qui a fait de lui un écrivain moins performant à l'époque des Chemins de la liberté ; et la coupure avec La Nausée. Il n'y a plus donc d'engagement mais confusion et fusion dans et avec la classe ouvrière et les peuples opprimés par les différentes colonisations européennes : grèves, distribution de tracts devant les usines, vente du journal La Gauche prolétarienne qu'il finançait complètement ; manifestation contre la guerre du Vietnam, pour la Palestine... Pendant toutes les années de la guerre d'Algérie, il se battra férocement contre cette guerre, contre l'apartheid en Afrique du Sud et l'occupation israélienne de la Palestine au sujet de laquelle il écrira : « L'Etat d'Israël est un Etat colonial. » Lui le juif qui sera dorénavant vomi par les sionistes enragés et intégristes fanatiques. Comme il s'emparera du problème noir (en 1948, déjà !) et du racisme et qu'il écrira ce texte superbe et pathétique analyse en introduction à L'Anthologie de la nouvelle poésie nègre et malgache parue en 1948 : « Notre blancheur nous paraît un étrange vernis blême qui empêche notre peau de respirer, un maillot blanc usé aux coudes et aux genoux, sous lequel si nous pouvions l'ôter, on trouverait la vraie chair humaine, la chair couleur de vin noir... L'Etre est noir, l'être est de feu, nous sommes accidentels et lointains, nous avons à nous justifier de nos mœurs, de nos techniques, de notre pâleur de mal-cuits et de notre végétation vert-de-gris. Par ces regards tranquilles et corrosifs, nous sommes rongés jusqu'aux os... Nous voilà finis, nos victoires, le ventre à l'air, laissent voir nos entrailles, notre défaite secrète. » On perçoit ici combien la conscience de l'autre est perturbée et douloureuse chez Sartre, à tel point que ce texte va faire réagir « les nègres » eux-mêmes. En particulier Frantz Fanon, le disciple fervent devenu pour lui un modèle secret d'existence engagée corps et âme (l'Algérie en lutte !) , qui lui répond dans une belle apostrophe quelque peu parricide, à la fin de Peau Noire, Masques Blancs : « On n'avait rien trouvé de mieux que de faire appel à un ami des peuples de couleur et cet ami n'avait rien trouvé de mieux que de montrer la relativité de leur action. Pour une fois, cet Hégélien né avait oublié que la conscience a besoin de se perdre dans la nuit de l'absolu, seule condition pour parvenir à la conscience de soi... Ce qui est certain, c'est qu'au moment où je tente une saisie de mon être, Sartre, qui demeure l'Autre, m'enlève toute mon illusion.... Et c'est en dépassant la donnée historique instrumentale, que j'introduis le cycle de ma liberté. Le malheur de l'homme de couleur, c'est d'avoir été esclave. Le malheur et l'inhumanité de l'homme blanc, c'est d'avoir tué l'homme quelque part et de continuer d'organiser rationnellement cette déshumanisation... Ni reconnaissance ni haine ! » Ainsi Sartre est de tous les combats, sa « bâtardise » le mine, sa culpabilité vis-à-vis des méfaits du monde entier le taraude. Il est en constante évolution-dévolution-révolution. Engagé, désengagé, il est en perpétuelle souffrance. Dans les Carnets, peut-être son vrai chef-d'œuvre selon l'expression de Serge Doubrovsky, il écrit : « J'étais engagé dans une forme d'existence rayonnante et un peu torride, sans vie intérieure et sans secrets. » Il vise ainsi plus que l'éternité, une forme de translucidité. Gâté par la vie, ses origines et ses succès littéraires et philosophiques, Jean-Paul Sartre va passer sa vie à se pourrir la vie. A se malmener. Se secouer. Mourir à petit feu. Mais il reste l'écrivain de « l'écriture de soi ». Dans Lettres au Castor (Simone de Beauvoir) il écrit : « N'est-ce pas d'abord dans l'écriture que vous avez cherché cette transparence ? Pas d'abord, en même temps. Si vous voulez, c'est dans l'écriture que j'allais le plus loin. » Un des livres de Sartre s'intitule Saint Genet en hommage à Jean Genet. En traversant rapidement la vie de Sartre, on pourrait l'appeler « Saint Jean-Paul ».

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