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Sony Labou Tansi, aux sources de l'afrique
La révolte du romancier congolais
Publié dans El Watan le 13 - 10 - 2005

En cette année 2005, le monde littéraire africain commémore le dixième anniversaire de la disparition du romancier, poète et dramaturge congolais, Sony Labou Tansi. C'est en 1995, quinze jours après le décès de son épouse Pierrette, que Sony Labou Tansi, de son vrai nom, Marcel Sony, décède du sida à l'âge de 48 ans, à Brazzaville.
Diverses manifestations littéraires ont eu lieu en Afrique et en France, afin de rappeler la valeur et le combat de cet intellectuel hors-norme tant son écriture est forte et bouleversante. On dit souvent de lui qu'il est le Wole Soyinka de la littérature francophone africaine. Par le biais de cette chronique bimensuelle, El Watan s'associe à cet hommage bien mérité. Pour cela, j'ai relu un de ses romans les plus forts, L'Ante-peuple qui mérite lecture et relecture. Il est à noter que ce roman a été publié aussi en Algérie en 1988, chez Laphomic. Les thèmes de prédilection de Sony Labou Tansi prennent leur source dans les problèmes de fond que vit l'Afrique post-indépendance, en l'occurrence la pauvreté chez la plupart des Africains, la richesse criarde d'une minorité qui a profité des indépendances, des malversations, de la corruption, des prises de pouvoir pour le pouvoir, et non pas pour des idéaux idéologiques, politiques, sociaux et autres nobles missions. Dans L'Ante-peuple, le romancier aborde avec un sens inné du récit et de l'art de raconter une histoire, avec des mots qui s'entrechoquent et qui prennent leur source dans la gouaille des Africains et dans la métaphore et l'imagerie africaines, comme cette expression : « Dadou lui remboursa le sourire ». Le récit narre l'histoire de Dadou qui est le parfait anti-héros. Directeur d'une école professionnelle de jeunes filles, bel homme sérieux et professionnel, il attire malgré lui une des étudiantes qui tombe amoureuse de lui et qui va tout faire pour se faire remarquer par « le citoyen directeur ». Elle réussit, ce qui va compliquer justement la vie de Dadou, qui tout en étant pur et innocent, cède aux avances insistantes de Yavelde. La situation est tentante, car Yavelde est très attirante. Elle se retrouve enceinte, mais pas de Dadou. Par peur de représailles de la part de sa famille, Yavelde se suicide, ce qui conduit ses parents à accuser Dadou du meurtre de leur fille. Alors, commence le cauchemar pour cet homme qui n'aspirait qu'à vivre tranquille au sein de sa famille. Bien que clamant son innocence, la foule formée de voisins et de parents de Yavelde se venge et tue l'épouse et les enfants de Dadou, ce qui le laisse dans une situation de désespoir total. C'est à partir de ce moment là que le récit bascule du thème social vers le terrain de la politique. La vie de Dadou bascule. Vu les pouvoirs de la famille de Yavelde, il va connaître les joies des geôles de son pays, sans jugement aucun. Les prisons inhumaines, les passe-droits et la fuite du pays par des voies peu légales, grâce à la corruption des uns et des autres. Dadou va tremper lui aussi dans des magouilles afin de sauver sa peau. Le passage de la frontière entre les deux Congo, le rôle de la rivière, la clandestinité et la récupération de sa personne en perte d'humanité par des forces révolutionnaires montrent combien la vie est aléatoire et ne dépend que du bon vouloir du plus fort. Dadou se retrouve dans un complot militaro idéologique, dont il ne comprend ni les tenants ni les aboutissants. Pour lui permettre de survivre en tant que réfugié illégal, il lui est demandé de jouer au fou pour pouvoir assassiner le Premier ministre. Le récit se complique au fur et à mesure que l'histoire progresse, montrant combien il est facile de se retrouver embrigader dans des affaires de coup d'Etat en Afrique, dans des situations où les intérêts sont contradictoires, toujours à l'avantage de ceux qui fomentent ces renversements de régimes. Le peuple étant toujours en attente. Bien sûr, l'histoire est simple, mais dans le même temps, elle montre la complexité des rapports humains, la faiblesse de l'être humain, qui afin de sauver sa propre peau, peut devenir du jour au lendemain un assassin pour une cause qui ne le concerne pas. Par le biais du narrateur, le lecteur découvre une Afrique où tous les coups sont permis, où l'égoïsme est roi et où le sens du partage et de la paix n'existent plus, car l'avidité de ceux-là mêmes qui prônent justice et équité, est présente et destructrice. Sony Labou Tansi réussit à décrire les sentiments de ces êtres humains pris dans cet imbroglio africain qui n'en finit pas. Il montre derrière les informations générales concernant l'Afrique, l'humanité de ceux qui souffrent. Le maître mot de ce roman est l'adjectif « moche » qui revient comme un leitmotiv dans le récit. L'Afrique est devenu « une mocherie moderne », comme le clame ce professeur à ses étudiantes : « C'est ça votre Afrique, c'est ça vos indépendances et vos révolutions d'Afrique : tout commence par les jambes. Il faut qu'on trouve un ministère des jambes. » En parlant de cette nouvelle Afrique, un des personnages dit : « Il y a au monde des pays où Dieu n'arrive plus. » Car, comme ce vieil africain l'affirme : « Le pouvoir absolu assure absolument le déséquilibre social. » Et suite aux massacres entre clans et entre intérêts, il dit sa pensée : « ça tombait. Ici, là, ailleurs. La gâchette était devenue un cerveau. Le canon une âme. Et ça tirait. Et ça tombait. Comment pouvait-on appeler cela, sinon un temps de chien ? » Sony Labou Tansi réussit à faire dire à ses personnages des vérités sans que le texte devienne pamphlet. Dans la bouche du vieux qui recueille et qui parle à Dadou, la vérité et la logique de son raisonnement apparaissent loin des discours démagogiques des dirigeants. Il dit par exemple, lui qui a connu la colonisation : « Dans dix ou vingt ans, vous savez, nos enfants haïront le béret comme nous avons haï le colon. Et commencera la nouvelle décolonisation. La plus importante, la première révolution : le béret contre le cœur et le cerveau. Si ça peut venir, alors il n'y aura plus de fin. Il y aura le commencement. La haine sera passée. Le sang, la chair, le béret. On aura alors nos Marx, nos Lenine, nos Mao, nos Christ, nos Mahomet, nos Shakespeare, nos nous-mêmes ». Sony Labou Tansi a écrit pour que l'Afrique retrouve un jour sa dignité, car le peuple africain reste raisonnable, mais pour combien de temps ? Malheureusement, les scènes que nous avons vues cette semaine à la télévision, à la frontière marocaine, ces scènes insoutenables qui montrent ces Africains désespérés, jetés dans le désert, sans scrupule pour leur humanité, prouvent que l'Afrique et ses dirigeants ont un long chemin à parcourir pour donner envie à la jeunesse d'avoir de l'espoir et de demeurer sur ce continent. A travers L'Ante-peuple, Sony Labou Tansi montre les errances d'un peuple africain en désespoir à travers le personnage de Dadou. Son œuvre riche comprend La vie et demie , L'Etat honteux, Les sept solitudes de Lorsa Lopez et Les yeux du volcan. Il a également écrit des pièces de théâtre comme La parenthèse de sang ou Je soussigné cardiaque, ainsi qu'une adaptation africaine de Roméo et Juliette de William Shakespeare. Sony Labou Tansi a toujours regretté que la littérature ne soit pas une priorité de développement en Afrique. Cependant, quelle que soit la volonté des politiques, force est de constater que la littérature africaine donne un nouveau souffle à la littérature mondiale, car elle place au centre de ses préoccupations la vie sociale et la vie intime de l'homme et de la femme, ses espoirs et ses doutes.
Sony Labou Tansi, L'Ante-peuple, Paris, Seuil, 1983 et Alger, Laphomic, 1988.


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