Quinze millions et demi d'Irakiens se rendent aujourd'hui aux urnes afin de se prononcer sur une nouvelle constitution objet de controverses, voire de manipulation, et décrite comme un pas en avant vers le démembrement de l'Irak. Beaucoup en parlent comme d'un sujet d'une grande inquiétude, mais l'inverse est aussi vrai puisque certains leaders politiques présentent ce document comme la solution miracle à la violence qui ravage l'Irak depuis son invasion en mars 2003 par l'armée américaine. Il s'agit de ceux - Kurdes et chiites - qui ont remporté les élections générales du 30 janvier dernier. Ceux-là prennent leur revanche sur l'histoire qui les avait exclus du pouvoir pendant des décennies. Et comme ils y sont, majorité démographique oblige. Ils entendent l'exercer pleinement, avec au besoin selon nombre d'analystes, un morcellement du pays en Irak « ethniquement homogène », mais à la viabilité fortement contestée. Premièrement, dit-on, les chiites seraient prêts à s'allier avec l'Iran voisin, ce qui remettrait en cause l'équilibre régional déjà précaire. Quant aux Kurdes, ils subissent déjà les menaces de la Turquie opposée à la création d'un Etat kurde indépendant. Quant aux sunnites, ils seront les grands perdants même au plan économique, puisque les réserves de pétrole se trouvent en pays kurde et chiite. Ce qui n'a pas empêché la campagne référendaire de battre son plein - à l'américaine -, sur les télévisions, dans la presse et les radios, pour convaincre les Irakiens de se rendre aux urnes et tourner définitivement la page de Saddam Hussein, car de ce point de vue, c'est véritablement le cas. « L'Irak vit une étape transitoire importante dans sa marche historique vers la souveraineté totale. Le vote sur la Constitution, le 15 octobre 2005, est une des étapes les plus importantes de ce processus », a déclaré un encart de la commission électorale publié récemment. Les quotidiens impriment également de courts extraits du texte qui a commencé à être distribué à 5 millions d'exemplaires avec les rations alimentaires. « Nous donnons à chaque famille un exemplaire du texte quand elle vient chercher ses rations de riz et de sucre », reconnaît ainsi un responsable de la distribution, tout en soulignant que « certains commencent à lire immédiatement le texte dans la rue, mais d'autres ont peur et le cachent dans le sac de riz ». Dans les villes kurdes du Nord, des banderoles tendues dans les rues proclament qu'« un vote par oui revient à soutenir l'autonomie » ou « garantit le maintien des peshmergas », les forces de sécurité locales. Mais à Kirkouk, l'une des villes au nord de Baghdad comptant une importante communauté d'Arabes sunnites, appelés à voter non, des affiches ont fait leur apparition pour dire « non » au projet de constitution en soulignant qu'il risque de diviser le pays. C'est le principal argument des sunnites opposés au fédéralisme et qui espèrent faire barrage au projet en réunissant contre lui les deux-tiers des électeurs de trois provinces. D'autres sunnites rassurés sur le caractère transitoire de cette constitution, ont appelé à voter en faveur du texte. Restent aussi les Américains qui considèrent ce vote comme une étape clé, mais elle ne sera pas suffisante pour commencer à retirer des troupes d'Irak. Désireux de prouver que leur intervention en Irak a fait avancer la démocratie alors que les violences sur le terrain se poursuivent, les Etats-Unis n'ont cessé ces derniers mois de faire pression sur les dirigeants irakiens pour qu'ils respectent le calendrier électoral prévu. « L'Administration américaine espère utiliser les élections de décembre comme une évolution (lui) permettant de commencer à retirer des troupes », estime Thomas Carothers, du Carnegie Endowment for Peace. Pourtant, souligne Jane Arraf, du Council of Foreign Relations, la constitution ne devrait pas avoir d'effet sur la situation sécuritaire du pays. « En fait, la majorité des responsables militaires s'attendent à une augmentation de la violence pendant la période du référendum et celle des élections de décembre », ajoute cette journaliste, ancienne directrice du bureau de CNN à Baghdad. « Le seul moyen pour les Etats-Unis de quitter l'Irak sans provoquer une guerre civile - et nous n'en sommes pas encore là - est d'amener les services de sécurité irakiens à un niveau suffisant pour qu'ils remplacent » les soldats américains, précise-t-elle. Or, le Pentagone a reconnu récemment qu'il n'y avait qu'un seul bataillon irakien (environ 700 hommes) capable de combattre de manière autonome sans le soutien des troupes américaines, contre trois en juin. Les Etats-Unis se sont largement impliqués dans la rédaction de cette constitution. Leur ambassadeur à Baghdad, Zalmay Khalilzad, n'a pas hésité à proposer des versions écrites de lois fondamentales. Les experts s'accordent à penser qu'il y a peu de chances que le projet de Constitution soit rejeté. « Je serais très surpris si la Constitution n'était pas approuvée » par les électeurs irakiens, indique Thomas Carothers. Selon l'expert du Carnegie Endowment, la minorité sunnite n'est pas suffisamment organisée pour rassembler suffisamment de votes contre la Constitution et provoquer son rejet. Un avis partagé par Jane Arraf du Council of Foreign Relations. Mais quelle que soit l'issue du référendum, ajoute-t-elle, la Constitution est « tellement vague et sujette à des interprétations, qu'elle dépend vraiment de ce que va en faire le prochain gouvernement ». Pourquoi alors un tel texte s'il ne crée plus de problèmes qu'il n'en résout. La Ligue arabe à titre d'exemple persiste et signe. L'Irak vit sous la menace d'une guerre civile, ou encore, d'éclater en plusieurs entités.