Nadia est jeune et aurait pu être très jolie si elle s'occupait un peu d'elle. Mais Nadia n'a pas ce genre de préoccupations. Si Nadia est belle, personne ne le voit puisqu'elle porte un djelbab aussi noir qu'un sachet noir. A part ses parents et ses frères et sœurs, personne n'a vu Nadia. Pourtant, Nadia est là, passe tous les jours, marche toutes les heures que le régime fait, descend tous les matins que le soleil fait dans les boulevards en pente de l'Algérie moderne. Nadia est une avaleuse d'histoire et pense que l'Histoire est à l'homme ce que la sculpture est à la pierre, qu'il faut la façonner à coups de burin, par successives défigurations de sens et de formes. Nadia n'est pas islamiste, mais égalitariste, Nadia n'est pas intégriste, mais en colère. Nadia aime son pays, mais a voté FIS en 1992, n'aime pas la montagne mais est montée au maquis par l'intermédiaire de son cousin en 1994. Nadia a tué beaucoup de gens, des hommes comme son père et des femmes comme sa sœur. Nadia a fait n'importe quoi, sans réfléchir parce qu'elle pense encore que la réflexion tue l'action. Heureusement, à la faveur de la réconciliation nationale, Nadia s'est calmée. Un peu. Elle a voté oui, a dit non et a pensé peut-être. Pourtant, en son for intérieur, rien n'est réglé. Ni l'homme qu'elle aime et qui ne sera jamais le sien ni celui qu'elle déteste et qui ne sera jamais vraiment mort. Aujourd'hui, Nadia a la même haine et le même amour, la haine de tout détruire pour l'amour de tout reconstruire. Pour ce Ramadhan, Nadia a décidé de manger puisque tout le monde mange le bien des autres. A une seule exception. Nadia ne mange plus de poulet. La grippe aviaire en provenance de Turquie peut arriver cachée dans un pigeon ou un bonbon goût moineau. Nadia a quand même peur de mourir bêtement. C'est uniquement pour cette raison que Nadia vit encore.