Le niveau de la corruption demeure élevé en Algérie. L'indice 2005 de perceptions de la corruption (IPC), établi chaque année par Transparency International et rendu public hier à Berlin et à Londres, accorde à l'Algérie 2,8 sur 10. En 2003 et 2004, l'Algérie avait obtenu 2,6 et 2,7. En deux ans donc, l'Algérie n'a évolué que de... 0,2. « Les auteurs de l'IPC considèrent qu'une note inférieure à 3 signifie l'existence d'un haut niveau de corruption », estime l'Association algérienne de lutte contre la corruption (AACC). Sur 159 pays, l'Algérie est classée à la 97e place. Elle partage cette mauvaise position avec Madagascar, le Malawi, le Mozambique, l'Argentine et la Serbie-et-Monténégro. L'AACC, dans un communiqué, se dit non surprise par le score enregistré par le pays. « La situation sociopolitique et économique qui prévaut en Algérie, depuis plusieurs années déjà, n'a cessé de favoriser les conditions de l'explosion de la corruption - petite et grande -, à tous les niveaux et tout est fait par le pouvoir en place pour que la généralisation de ce fléau se poursuive à grande échelle », relève l'association. « Le retour en force d'un Etat policier, autoritaire, répressif et liberticide est un des principaux indicateurs de ce maintien parmi les pays cancres de la corruption au sein de la communauté internationale », ajoute AACC. Pour établir l'Indice de perceptions de la corruption, Transparency International, qui est basée à Berlin, évalue le niveau de différentes malversations et pratiques illégales constatées dans les administrations publiques et dans la classe politique. « C'est un indice composite faisant appel à des données sur la corruption tirées de sondages d'experts réalisés par divers organismes dignes de confiance. Il reflète les points de vue des milieux d'affaires et des analystes du monde entier, y compris les experts qui résident dans les pays évalués », précise l'ONG qui concentre son intérêt sur la corruption dans le secteur public et qui définit le phénomène comme « l'abus d'une charge publique à des fins d'enrichissement personnel ». Les sondages utilisés par Transparency pour établir l'IPC mettent l'accent, entre autres, sur l'acceptation de pots-de-vin par des fonctionnaires dans le cadre de marchés publics. L'ONG, qui ne fait aucune différence entre « corruption politique », « corruption administrative », « petite corruption » ou « grande corruption », s'intéresse à « l'aptitude » du système judiciaire et des médias à dévoiler la corruption. Elle considère ce phénomène comme une menace pour le développement. « La corruption est une cause majeure de la pauvreté ainsi qu'un obstacle pour la contrer. Ces deux fléaux s'alimentent réciproquement, enfermant les populations dans le cycle de la misère. La corruption doit être combattue avec vigueur pour que toute aide allouée puisse provoquer une vraie différence pour libérer les gens de la pauvreté », déclare Peter Eigen, président de Transparency International. L'AACC critique les discours officiels autour de « la lutte contre la corruption » en Algérie. « Tout cela était de la poudre aux yeux destinée aux partenaires internationaux et qui, au plan interne, a surtout servi à régler des comptes pour des luttes de pouvoir », relève l'association. Manne pétrolière Elle remarque que le projet de loi sur la lutte contre la corruption est à chaque fois reporté depuis juin 2005. Ce texte, devenu presque obligatoire, découle de la ratification par Alger de la Convention des Nations unies contre la corruption qui doit bientôt entrer en vigueur. L'Algérie n'a pas encore ratifié la Convention de l'Union africaine de prévention de la corruption. Aucune explication n'est donnée à ce report. « L'énorme manne pétrolière entre les mains du pouvoir (...) ne contribue qu'à entretenir cette corruption et les 55 milliards de dollars qu'a débloqués le gouvernement pour la reconstruction des infrastructures publiques sont la proie des prédateurs et des charognards mafieux, la réglementation sur les marchés publics étant systématiquement détournée », estime l'AACC. A la fin septembre 2005, les recettes pétrolières s'élevaient à 32 milliards de dollars. Le gouverneur de la Banque d'Algérie, M. Laksaci, a annoncé, cette semaine, que les réserves de change ont atteint, à la même période, 51,7 milliards de dollars. Depuis son indépendance, l'Algérie n'est jamais parvenue à un tel niveau de recettes. Les organisations internationales ont, à l'image de la Banque mondiale, critiqué, à travers des circuits non officiels, la gestion par l'Algérie du Fonds de régulation des recettes. Ce fonds prend en compte la différence entre le prix du baril de pétrole fixé par la loi de finances (toujours à 19 dollars) et le prix réel du marché qui a dépassé les 60 dollars. « La responsabilité de la lutte contre la corruption n'est pas l'apanage des pays à bas revenus. Les pays plus riches doivent non seulement combattre les nombreux cas de corruption à l'intérieur de leurs frontières, mais également s'assurer que leurs entreprises ne sont pas impliquées dans des pratiques de corruption à l'étranger. Les contrevenants doivent être poursuivis en justice et bannis de tout appel d'offres public », note Transparency International. Certains gouvernements commencent, selon l'ONG, à se demander s'il est utile d'accorder de l'aide aux pays perçus comme corrompus et tentent d'utiliser les notes de l'IPC pour déterminer si un pays devrait recevoir de l'aide ou pas. Idée que Transparency ne partage pas. « On ne doit pas pénaliser les pays perçus comme très corrompus - ce sont justement ces pays qui ont besoin d'aide pour sortir de la spirale corruption-pauvreté. Si un pays est perçu comme corrompu, il devrait constituer une priorité pour les bailleurs de fonds qui doivent investir dans des approches systémiques de lutte contre la corruption », propose-t-elle. Classé à la 28e position dans le tableau de Transparency, au même titre qu'Israël, Oman est le pays arabe le plus transparent, il est suivi des Emirats arabes unis, Qatar, Bahreïn, la Jordanie, la Tunisie et le Koweït. L'Egypte et l'Arabie Saoudite sont classées à la 70e position, le Maroc à la 78e, le Liban à 83e et la Libye à la 117e. En Afrique, l'Afrique du Sud, après la Tunisie, est le pays le moins corrompu puisqu'il est classé à la 46e position. Viennent après la Namibie, l'Ile Maurice, les Seychelles, le Ghana et le Burkina Faso. « Pillage froid » Dans le monde, l'Islande est le pays le plus transparent avec un indice de 9,7 sur 10. Il est suivi de la Finlande, de la Nouvelle-Zélande, du Danemark, de Singapour, de la Suède et de la Suisse. Le Canada est classé à la 14e position, l'Allemagne à la 16e, les Etats-Unis à la 17e, la France à la 18e, le Japon à la 21e, l'Espagne à la 23e et l'Italie à la 40e. En bas du tableau, se trouvent le Tchad, le Bangladesh et le Turkménistan. « La corruption n'est pas une catastrophe naturelle : c'est un pillage froid et calculé de nombreuses opportunités pour les hommes, femmes et enfants qui sont le moins à même de se protéger. Les dirigeants doivent aller au-delà des simples promesses orales et tenir leur parole de fournir les ressources nécessaires pour s'engager dans l'amélioration de la gouvernance et de la transparence », estime David Nussbaum, directeur exécutif de TI.