Je suis innocent », a dit Saddam Hussein devant les cinq juges du Tribunal spécial irakien (TSI) installé dans une salle de l'ex-siège du parti unique Baâth, entouré de strictes mesures de sécurité. Ses sept coaccusés, dont l'ancien vice-président Taha Yassine Ramadan, et un demi-frère de Saddam Hussein, Barzan Ibrahim Al Hassan, ont aussi affirmé être « innocents ». Saddam, se proclamant comme le Président légitime d'Irak, a défié le tribunal, au premier jour de son procès hier pour le massacre de 143 chiites à Doujaïl en 1982. La tension était partout perceptible hier en Irak où s'ouvrait le procès de son ancien président. Dans l'enceinte même du tribunal où Saddam Hussein a maintenu sa ligne de défense en refusant de reconnaître l'instance, le Tribunal spécial irakien (TSI) qui le juge. Et à l'extérieur où partisans et opposants du président déchu manifestaient. D'emblée, le président déchu refusait de décliner son identité affirmant que son procès n'était pas fondé, mais soulignant qu'il « ne nourrissait aucune haine » à l'égard de ses juges. « Je me réserve le droit constitutionnel de faire valoir mes droits de chef d'Etat et je refuse de répondre », a-t-il dit, en réponse au président du tribunal. « Je ne reconnais pas votre autorité parce que tout (ce qui est fait dans ce tribunal) est infondé », a dit Saddam. Le président du tribunal lui avait demandé à plusieurs reprises de décliner son identité, alors que l'ancien président irakien voulait soulever des questions de procédure. « Je veux pour le moment que tu déclines ton identité, ton nom, ton prénom et ensuite on va t'entendre. Tu attendras ton tour, on te donnera la parole », a dit le président, le Kurde Rizkar Mohammed Amin. « Nous n'avons pas le temps d'écouter tes rapports. Alors assieds-toi pour le moment et donne nous ton identité », a encore dit le président du tribunal sans perdre son sang froid, en coupant court à une tentative de Saddam Hussein de reprendre la parole. Les propos de l'ancien président irakien étaient difficilement audibles, ce qui a motivé une suspension de l'audience pour dix minutes afin de régler un problème technique de son. « Je veux d'abord savoir de quel tribunal il s'agit », a dit Saddam Hussein. « C'est une cour criminelle irakienne », lui a répondu le président du TSI, avec un sourire. « Je refuse de répondre », a alors rétorqué Saddam Hussein avant de se rasseoir. « Il n'y a rien à faire avec votre tribunal », a encore dit Saddam Hussein, en déplorant d'avoir été conduit depuis 2h30 du (23h30 GMT) dans ce bâtiment appartenant à l'ex-administration de l'industrie militaire, selon lui. « J'ai été obligé de m'habiller, puis de me déshabiller et ensuite de me rhabiller. Si vous êtes Irakien vous devriez le savoir, je ne me fatigue jamais », a-t-il dit, en s'adressant au président du tribunal. « Ils m'ont dit de ne prendre ni crayon ni papier, car même un crayon suscite la peur maintenant » dans cette enceinte, a-t-il dit. « Je ne nourris aucune haine à votre égard (les juges). Mais respectant le peuple irakien qui m'a choisi, je vous annonce que je ne répondrai pas à votre cour, avec tout le respect que je lui dois. Je réserve mes droits constitutionnels en tant que président de l'Irak et je n'irai pas plus loin dans cet interrogatoire », a-t-il poursuivi. Un autre accusé, l'ancien vice-président irakien, Taha Yassine Ramadane, en longue tunique blanche, a également refusé de décliner son identité, affirmant devant le tribunal que « mon identité a été volée », sans plus de précisions, avant de se rasseoir à la ferme demande du président. Deux autres accusés, les frères Abdallah Kadhem Roueid et Mezhar Abdallah Roueid ont accepté pour leur part de répondre aux questions du président du tribunal. « Notre famille vit depuis plus de 700 ans à Doujaïl », a dit l'aîné Abdallah Khadhem Roueid après avoir donné son nom, prénom, profession et date de naissance en 1925. Ces deux accusés étaient responsables pour la région de Doujaïl du parti Baâth, dissous après la chute du régime de Saddam Hussein en avril 2003. A l'issue de cet échange pour le moins attendu et que la défense utilisera elle aussi certainement pour demander que soit reconnue l'incompétence du TSI, et obtenir au moins le renvoi du procès, le président du tribunal a indiqué aux prévenus qu'ils étaient accusés de crimes et de meurtres et les a prévenus qu'ils sont passibles de la peine de mort si leur culpabilité est prouvée. « Ils sont accusés de meurtre, d'expulsion forcée, d'emprisonnement, de torture et de non-respect des règles internationales », a dit le président. « Les accusés ont des responsabilités personnelles dans ce cas », a dit le magistrat, en référence au massacre de 143 chiites en 1982, ajoutant que conformément au code pénal, ces accusations sont « passibles de la peine de mort ». Les huit ex-dirigeants du régime irakien sont jugés pour « l'exécution de 143 citoyens, la séquestration de 399 familles, la destruction de leurs maisons et des terres » agricoles dans le village de Doujaïl, à 60 km au nord de Baghdad. En réponse, ces derniers ont plaidé non coupables. « Je répète ce que j'ai dit, je ne suis pas coupable. Je suis innocent », a dit Saddam Hussein. Ses sept coaccusés se sont levés tour à tour à la demande du président du tribunal en affirmant qu'ils « sont innocents ». La séance a aussitôt été ajournée et reprendra le 28 novembre prochain. L'avocat de Saddam Hussein avait demandé un report de trois mois. La bataille ne fait que commencer, sauf à penser que les craintes formulées depuis longtemps par le collectif d'avocats ainsi que des organisations internationales comme Human Rights Watch et Amnesty International, ne soient fondées, par le fait que des règles de droit soient bafouées. Bataille de juristes, mais avec un fond éminemment politique.