Le procès tant attendu de Saddam Hussein et de sept autres anciens responsables s'ouvre aujourd'hui à Baghdad devant le TSI (Tribunal spécial irakien) pour un seul crime dont le dossier a été bouclé par l'instruction : le massacre de 143 villageois chiites en 1982. Après des tirs contre le convoi de Saddam Hussein, 143 villageois de Doujaïl ont péri dans les représailles menées par ses services de sécurité. De nombreuses propriétés ont été détruites, des fermes et des vergers saccagés et les survivants condamnés à l'exil interne pendant quatre ans. Au banc des accusés, Saddam Hussein, Taha Yassine Ramadan, ancien vice-président, Barzan Ibrahim Al Hassan, son demi-frère et ex-chef des renseignements, et Awad Ahmad Al Bandar, ex-adjoint du chef de cabinet du président. A leurs côtés, quatre responsables locaux du Baâth dissous : Ali Daeh Ali, Mohammad Azzam Al Ali, Abdallah Kadhem Roueid et Mezhar Abdallah Roueid. Ce procès, qui intervient quatre jours après le référendum sur le projet de Constitution qui a tourné définitivement la page du régime baâthiste, sera celui de l'homme qui a régné sur l'Irak en maître absolu pendant 24 ans. Un quart de siècle d'histoire contemporaine de l'Irak, des aveux en sont attendus, mais aussi des révélations, notamment au sujet du personnage central avec sa politique et surtout ses amitiés et ses alliances. Là, bien entendu, beaucoup s'en méfient comme le prouvent les récentes révélations sur les largesses accordées par l'ancien régime irakien dans le cadre du programme onusien « pétrole contre nourriture ». Et encore s'il n'y avait que cela assurent nombre d'observateurs, selon lesquels il y aurait plus que cela. Mais est-ce que Saddam Hussein, se sentant certainement libre de toute contrainte, acceptera d'en parler, si, bien entendu, le tribunal qui a décidé de le juger sur des affaires distinctes et séparément lui en octroie la possibilité, une tribune en fait. C'est ce qui en ferait un procès à risque. Jugés pour « l'exécution de 143 citoyens, la séquestration de 399 familles, la destruction de leur maison et des terres » agricoles dans le village de Doujaïl, à 60 km au nord de Baghdad, les huit accusés risquent tous la peine de mort. Saddam Hussein, capturé huit mois après la chute de son régime le 9 avril 2003 avec l'entrée des troupes américaines dans Baghdad, comparaîtra devant cinq juges et l'audience doit être entourée de mesures de sécurité exceptionnelles. Le procès sera public, a annoncé le 13 octobre le porte-parole du TSI, le juge Raed Al Jouhi, qui a conduit une partie de l'instruction. « Il sera public à moins que le tribunal décide de le tenir à huis clos. J'espère qu'il sera retransmis en direct à la télévision. » Le juge Jouhi a estimé possible un renvoi du procès, après la première comparution des accusés. « La décision revient au tribunal », a-t-il indiqué, ajoutant qu'il aurait à étudier d'éventuelles requêtes en ce sens des avocats. Selon lui, l'équipe de défense a eu accès au dossier, contrairement aux affirmations de l'avocat irakien de l'ancien président, Khalil Al Doulaïmi. Ce que conteste vigoureusement cette équipe qui accuse le tribunal d'avoir foulé aux pieds les droits de la défense. « La défense n'a pas eu la possibilité d'examiner un quelconque dossier d'accusation ou même un quelconque document d'enquête », affirmait récemment cet avocat, Khalil Al Doulaïmi. Ce que le TSI a rejeté avec force. « Nous avons partagé les éléments de preuves dans l'affaire de Doujaïl avec les avocats des accusés », a affirmé le tribunal, lors de la publication de la liste des accusés le 3 octobre. Le juge Jouhi a annoncé que douze autres affaires étaient instruites contre l'ancien président et assuré que certains dossiers pourraient être achevés très vite. Saddam Hussein est poursuivi pour crimes contre l'humanité et crimes de guerre dans plusieurs affaires. Il s'agit notamment de l'opération Anfal contre les Kurdes en 1988, le gazage des Kurdes à Halabja la même année, la répression des chiites en 1991, l'invasion du Koweït, un an plus tôt, le massacre en 1983 de membres de la tribu des Barzani, le meurtre de chefs de partis politiques et celui de dignitaires religieux. Certains de ces crimes n'ont aucune commune mesure avec le massacre de Doujaïl, la campagne d'Al Anfal ayant fait quelque 180 000 morts, selon des chiffres communément admis. Quelque 5000 Kurdes sont morts dans le gazage du village de Halabja et des milliers d'autres dans la répression du soulèvement chiite dans le Sud. Les chiites et les Kurdes ont toujours poussé pour un procès rapide de Saddam Hussein, même si les derniers auraient souhaité le voir comparaître pour les crimes commis contre les leurs. La préparation du procès a été entourée du plus grand secret. Le TSI est resté quasiment muet, distillant les informations, tandis que les autorités américaines à Baghdad ont été avares de déclarations, invoquant des raisons de sécurité. Les noms des juges n'ont pas été révélés, ni l'endroit exact du tribunal même s'il semble qu'il siégera dans la Zone verte ultraprotégée du centre de Baghdad. Tout comme il n'est pas clair si le procès sera retransmis en direct à la télévision, les autorités craignant que le chef de l'Etat irakien ne transforme le TSI en tribune, comme cela avait été le cas en juillet 2004 lors de sa première comparution devant un juge. Saddam Hussein avait alors rejeté la légitimité du tribunal et clamé, avec défi : « Je suis le président de la République d'Irak et je suis irakien. » Selon un expert irakien, la date de la tenue du procès « est perçue comme hautement politique ». « Le gouvernement irakien tente de gagner une frange des chiites, au risque de perdre une autre frange, à savoir les sunnites », estime Nizar Samarraï, expert dans les affaires légales. Selon lui, ce procès vise à canaliser le mécontentement dans les régions chiites pauvres, où est fortement implanté le mouvement du chef chiite rebelle Moqtada Sadr, et de le diriger contre Saddam Hussein. Cette démarche semble porter ses fruits. Plusieurs centaines de jeunes partisans de Sadr sont descendus vendredi dans la rue pour réclamer à cor et à cri l'exécution de Saddam Hussein. Ces manifestations ont eu lieu à Sadr City et dans la région de Najaf, deux zones chiites qui ont souffert du joug de l'ancien régime. Un procès n'est pas une tribune, mais celui de Saddam Hussein est trop spécial pour qu'il obéisse à cette règle. Qui jugera qui alors ?