Le groupe Tagrawla fait son come-back, avec un nouvel album. Pas besoin pour ces quinquagénaires fougueux de suivre la tendance actuelle du «non-stop», décriée par eux et par des artistes kabyles qui voient que la chanson kabyle a été envahie par une faune d'interprètes dont le seul souci est de «se faire de l'argent» avec un produit insipide, vite oublié. -Tagrawla retrouve ses admirateurs après plusieurs années d'absence. Le retour n'est pas facile, d'autant plus que des éditeurs ont refusé de produire l'album jugé «trop bien fait, donc pas du tout commercialisable»? Contrairement à cette assertion, Tagrawla n'a jamais été absent de la scène. Pour preuve, notre participation à la tournée dans les wilayas de Tipasa, Bouira, Boumerdès et Alger en 2007 et celle effectuée pour le compte du Festival panafricain en 2009. Boudé par certains organismes et par une partie de la presse, le groupe a connu une traversée du «désert», non pas au niveau de la production, mais en termes de programmation. Quant à notre nouvel album, ce qui est regrettable dans notre culture, c'est que l'imparfait se conjugue malheureusement au présent, mais aussi, et ceci est encore plus grave, au futur. En tant que journaliste, je vous invite à enquêter sur le profil professionnel de certains de nos éditeurs. Vous serez édifié ! Les chansons de votre nouvel album sont dans la même veine que les précédentes. Le groupe a toujours privilégié le travail bien fait… Le choix des thèmes bien évidemment n'est pas fortuit. Le groupe a toujours privilégié le «mariage» parfait entre les textes et la musique. Dans notre dernier album, nous avons réalisé une rétrospective du XXe siècle marquée par de bonnes et mauvaises choses. A travers cette chanson, nous avons voulu nous placer non pas comme des acteurs de ce siècle, mais plutôt comme témoins. Idem pour l'hommage rendu à Matoub Lounès, Smaïl Yefsah, Tahar Djaout, Rachid Tigziri et toutes les victimes de la décennie noire jusqu'aux martyrs du printemps noir. -Votre groupe cible-t-il un public particulier ? Non, pas spécialement. D'ailleurs, nous avons pour preuve la chanson Yemma Tada Hafi reprise par des personnes de tous âges et de toutes conditions sociales.
-La musique algérienne, kabyle en particulier, est livrée pour longtemps encore aux médiocres. Que peuvent des initiatives individuelles comme la votre ? Tout d'abord, nous ne voulons pas nous présenter comme des moralisateurs. Par contre, c'est un débat qu'il faudra tenir tôt ou tard. Il est lié comme nous vous le disions précédemment aux «exigences» des éditeurs, beaucoup plus enclins à produire de la chansonnette qu'autre chose.
-Ne faut-t-il pas une véritable révolution «tagrawla», pour faire (ré)imposer la musique de bonne facture, pas celle dont on nous rebat toujours les oreilles ? Les musiciens, les bons s'entend, n'ont-ils pas une part de responsabilité dans la situation actuelle ? Victor Hugo disait : «La musique exprime ce qui ne peut être dit, et sur quoi il est impossible de rester silencieux.» Chaque artiste est maintenant libre d'appliquer cette maxime comme bon lui semble. Sauf que c'est aux médias, au sens large du terme, de donner une signification profonde à tout ce qui est véhiculé dans les chansons produites par les uns et les autres. La musique n'est jamais simplement du bruit, c'est le son d'une société, d'un moment, d'un endroit. La musique marque l'âme d'un peuple. On fait de la musique pour exprimer sa pensée et ses émotions. Ainsi, la musique présente toujours une possibilité de danger — elle peut enflammer les révolutionnaires — c'est la raison pour laquelle on l'a bannie et censurée à plusieurs moments de l'histoire. Elle permet d'exprimer des idées et des émotions trop intenses pour les mots, et qui ne peuvent pas «rester silencieux». Ce refus de garder le silence est la raison pour laquelle la musique a tant de pouvoir dans la société. L'éducation des «oreilles» du public est le rôle, que l'on veuille ou non, des médias. -Le groupe a-t-il des projets en vue ? Effectivement, si les négociations aboutissent, notre dernier CD sera sur le marché d'ici septembre ou octobre ; en outre, nous sommes invités à nous produire à Montréal vers le mois d'octobre ou novembre prochain, et pour rappel, nous avons été invités au mois de juillet par l'association Esprit de Fès du Maroc qui vient d'organiser le Festival de la culture amazighe, comme nous avons participé au festival d'Oum El-Bouaghi.