Tout le problème de l'efficience des réformes économiques en Algérie est résumé dans cette interrogation. En effet, les textes qui encadrent les différentes réformes initiées depuis une vingtaine d'années sont trop nombreux et laissent un goût d'inachevé. Les passerelles entre les matières traitées par les dispositifs mis en place ne sont la plupart du temps déclinées que partiellement et ne permettent pas de saisir l'activité concernée dans sa plénitude. Ce qu'un texte autorise, l'autre l'interdit. L'économie algérienne est ainsi ballottée entre l'économie de marché-endettement et l'économie administrée, entre un secteur public en voie de disparition et un secteur privé en croissance, entre une législation par moments libérale et par autres rigide. Cette situation a conduit et continue de conduire à des impasses. La plupart des opérateurs se heurtent à d'énormes difficultés pour investir un nouveau créneau ou diversifier leur offre de service ou de production. L'instrumentation mise à leur disposition ne leur permet pas d'aller au bout de leur volonté. Les progrès sont certes réels, mais faussés par cette propension à promulguer le plus de textes possible sans prendre le temps nécessaire pour défricher convenablement la matière dans tous ses aspects. Quelques exemples éclaireront davantage ces propos. Commençons par le droit de la faillite qui n'a pas subi de véritable réforme depuis 1975 alors que le contexte d'aujourd'hui n'est plus le même. Autant en 1975 l'entreprise privée faisait exception dans un panorama industriel et commercial dominé par le secteur public, autant en 2005 la donne a complètement changé et le droit au travail n'est plus un droit constitutionnel. Le nouveau droit de la faillite en attente doit, entre autres, privilégier le maintien de l'outil de production pour préserver l'emploi et ne pas envoyer mécaniquement à la casse les entreprises en difficulté. Le décalage ici entre la règle juridique et la réalité économique n'est pas à l'avantage du discours politique, qui prône l'économie de marché et l'ouverture tous azimuts. Encourager la création d'entreprises Sur un autre plan, un certain nombres d'actions sont initiées par les pouvoirs publics pour encourager la création d'entreprises et favoriser l'emploi à travers une nouvelle instrumentation qui se met en place jour après jour. Seulement voilà, tous ces efforts risquent de ne pas aboutir parce que l'écueil principal, de notre point de vue, est toujours à l'endroit. Le droit des sociétés, principalement la société par actions, n'a pas été réformé pour faciliter le développement du capital investissement dont le texte est annoncé pour bientôt. Beaucoup d'autres dispositions existent et devaient normalement fouetter l'activité en mettant à la disposition des agents économiques des mécanismes et des instruments appropriés pour multiplier les initiatives et ouvrir le champ à la création de richesses. Là aussi, la mise en œuvre n'a pas été au rendez-vous en raison tout simplement de l'inadéquation entre la demande et l'offre. Il en est ainsi du factoring et du leasing dont le développement est loin d'être à la mesure des besoins. Le marché financier, qui dispose d'une instrumentation permissive à tout égard, est toujours en léthargie depuis sa création en 1996. C'est dire que la règle juridique n'a pas réussi dans beaucoup de domaines à contraindre la réalité économique. Le pourquoi de la chose réside très certainement dans la manière et la volonté d'accompagner les processus mis en route, qui nécessitent des cadrages plus vastes. La décision prise, par exemple, par les pouvoirs publics d'interdire les transactions en espèces qui dépasseraient le montant de 50 000 DA est une très bonne mesure qui s'inscrit dans l'effort méritoire de moderniser les systèmes de paiement, d'une part, et de lutter contre le blanchiment d'argent, d'autre part. Cette règle risque d'être vidée de son contenu lorsqu'on connaît le niveau de bancarisation de la population (1 guichet bancaire pour 25 000 habitants alors qu'ailleurs la moyenne est de 1 guichet pour 3000 habitants), d'une part, et la suppression du droit au compte qui était inscrit dans l'ancienne loi sur la monnaie et le crédit, d'autre part. L'Afrique du Sud vient d'instituer pour toute la population un droit au compte afin de lui permettre d'accéder aux services bancaires de base (dépôts, retraits, paiements par carte de débit...). Cette opération a permis d'ouvrir un million de comptes en sept mois. Pour ne pas contrevenir au dispositif sur le blanchiment d'argent, qui exige l'identification des titulaires de comptes, les autorités ont introduit une dérogation spéciale à la loi sur le blanchiment. Il est peut-être venu le temps où le travail de produire des textes qui modulent l'économie d'un pays doit être confié à des professionnels. C'est à ce prix que la réalité économique sera une contrainte pour la règle juridique.