Ali Boukaroura, coordinateur du Conseil national des enseignants du supérieur (Cnes), et Djafer Benachour, chargé d'études et de synthèse auprès du ministère de l'Enseignement supérieur et de la Recherche scientifique (Mesrs), s'expliquent ici sur la situation de l'Université algérienne et donnent leur vision sur la réforme LMD, qui concerne la licence, le master et le doctorat. Liberté : L'Université algérienne a-t-elle besoin d'une réforme ? Quel est l'état des lieux ? M. Benachour : La réforme est inévitable, voire urgente. Le système actuel présente beaucoup de dysfonctionnements et il est décrié par tous les acteurs de l'université, les enseignants, les étudiants et les travailleurs. Une étude, menée par le ministère, étalée sur 10 ans, montre que les étudiants qui se voient affectés le premier vœu ne dépassent pas les 36%. Cela veut dire qu'un tiers des nouveaux bacheliers sont satisfaits de leur inscription. Après avoir été orienté vers une filière donnée, l'étudiant entre dans une sorte de tunnel. Il en sortira au bout d'une durée déterminée. On constate que la durée est prolongée de 2 ans au moins, dans 50% des cas. Si au bout de 2 ou 3 ans, il y a réorientation, l'étudiant revient alors à l'entrée d'un nouveau tunnel, car il n'existe pas de passerelles entre les différentes formations. Il y a donc beaucoup de déperditions et abandons des études, à cause de cette spécialisation prématurée. En matière de pédagogie, la plupart des programmes sont dépassés. Il faut donc les actualiser, en introduisant de nouveaux enseignements et en utilisant de nouvelles techniques d'information et de communication. Conclusion, le système actuel n'est pas efficace, en matière de rendement qualitatif et quantitatif. Il faut le changer, en tenant compte de ce qui se passe à l'étranger, en matière d'enseignement positif. M. Boukaroura : Personne ne peut nier le rôle de l'Université algérienne, dans la formation des cadres de valeur, depuis l'indépendance à ce jour. Mais, l'université vit une crise multidimensionnelle, depuis des années. Une crise d'identité liée à la fonction de l'université et à son caractère public. Une crise structurelle liée à l'organisation de l'université et à sa gestion, sur les plans pédagogique, scientifique, administratif et financier. Une crise de confiance liée à la faiblesse du rendement de l'université et à la dévalorisation de la formation universitaire. Une crise de confiance liée aussi et essentiellement à l'incapacité du marché du travail à absorber les milliers d'étudiants en fin de formation. Il y a aujourd'hui consensus sur la nécessité d'un changement de cette situation, à travers des réformes, surtout que le secteur de l'enseignement supérieur se prépare à accueillir, d'ici à 2 ou 3 ans, un million et demi d'étudiants. Où se situent, selon vous, les vrais enjeux de la réforme LMD ? M. Benachour : L'Algérie a choisi le système LMD qui est adopté par plus de 40 pays européens, l'ensemble des pays anglo-saxons et, dernièrement, par le Maroc et la Tunisie. Le véritable enjeu est l'amélioration de la qualité de la formation, capable de répondre aux nouveaux besoins de la société et de s'adapter aux nouveaux métiers, engendrés par l'incroyable essor technologique, ainsi que par les mutations de la société algérienne. Pour la première fois, on veut faire des réformes globales, cohérentes et profondes. Pour l'information, un groupe de travail chargé des réformes et formé par plus de 200 enseignants a été installé en décembre 2002 par le ministère… M. Boukaroura : Le Cnes veut réagir positivement par rapport à la réforme initiée par la tutelle. C'est dans ce cadre que les deux journées d'étude ont été organisées, pour débattre du sujet entre experts, enseignants et représentants du ministère de tutelle. Le Cnes a néanmoins une première lecture sur la réforme LMD (licence, master et doctorat) : l'objectif principal de cette réforme est de réduire la période et le coût de la formation universitaire. Pour nous, l'enseignement supérieur a besoin de réformes, mais des réformes plus avancées que la réforme LMD. Il est nécessaire de faire un diagnostic et une évaluation de la situation de l'Université algérienne, des difficultés et problèmes qui l'empêchent de jouer un rôle d'avant-garde. Il faut également définir le rôle de l'université, dans le cadre des mutations économiques, sociales et politiques, nationales et internationales. Il faut enfin donner la place qui revient de droit à l'enseignant, par l'élaboration d'un statut particulier, qui déterminera les droits et les obligations de l'enseignant du supérieur. Quel sens donnez-vous au concept de concertation des principaux acteurs de l'université pour la réussite du système LMD ? M. Benachour : Toute réforme nécessite la conjugaison des efforts de l'ensemble des acteurs concernés. Dans ce cas, ce sont les enseignants, les étudiants et les gestionnaires. Cette concertation s'exprime par un large débat sur la nécessité de réformer le système actuel et surtout, sur les approches et les moyens à mettre en œuvre pour réussir une telle réforme. Celle-ci passe nécessairement par une revalorisation des conditions sociales et de travail de ces acteurs. Cette concertation a commencé depuis janvier 2004, si ce n'est avant. M. Boukaroura : La concertation des acteurs principaux est, pour nous, la présentation du projet des réformes et sa discussion par les enseignants et les étudiants en premier lieu. L'objectif attendu est d'arriver à responsabiliser ces acteurs, pour qu'ils participent à la réussite de ces réformes indispensables dans le secteur de l'enseignement supérieur. Mais, le Cnes n'a été ni consulté ni associé sur la réforme LMD. H. A.