Amel Wahby, chanteuse algérienne et enfant terrible de Skikda, célèbre de par son hit El Khiala, nous parle à cœur ouvert, sans ambages ni tabou. Avec franc parler. Interview en «chœur». -Depuis votre dernier album, vous avez marqué une «pause» musicalement parlant… C'était une pause volontaire par rapport à la naissance de ma fille qui n'a que neuf mois et mon fils qui a deux ans et demi. J'envisage une éventuelle reprise en 2011, si tout va bien. Je l'espère et le souhaite. Vous avez un album en chantier avec notamment le single Bladi… L'année passée, aux mois de juin et juillet, j'ai été en Egypte pour préparer un album oriental. D'ailleurs, j'ai conçu 70% de cet album. Avec ce qui s'est passé entre l'Egypte et l'Algérie, j'ai vu tous mes projets artistiques s'arrêter. Donc, moi-même j'ai tourné le dos à l'Egypte. -Une réaction épidermique ou bien étiez-vous obligée… Ben ! La première fois, vous savez, on est mécontent. On est heurté et atteint dans son amour-propre en tant que profondément algérienne. Et puis, parce qu'il y a eu des amis et camarades artistes (égyptiens) qui ont été blessants. Et ma bonne éducation ne me permettait pas de répondre. Cela ne sert à rien de répondre. Vous savez, cela reste quand même une minorité. C'est quelque chose de banal par rapport à l'histoire des deux pays. J'ai rencontré des gens magnifiques en Egypte. Mais sur le plan artistique, cela m'a beaucoup fait mal. J'ai ma maison et tout là-bas. Je ne suis plus retournée en Egypte depuis plus d'une année. C'est vrai, je devais accoucher. D'ailleurs, j'ai accouché d'une enfant malade. Ma fille est toujours malade. Et je suis obligée de m'en occuper. Ma fille est atteinte d'une maladie assez grave. Et j'en parle parce que ce n'est pas un tabou. -Cela vous a affecté… Cela m'a affectée, bien sûr ! Mais tout ce qui provient de Dieu, je l'accepte. D'ailleurs, cela m'a ouvert l'esprit sur d'autres choses. Et j'ai toujours œuvré pour les enfants, depuis le début de ma carrière. Je suis marraine de plusieurs associations (protection de l'enfance). D'ailleurs, aujourd'hui, tous mes spectacles sont caritatifs au profit des enfants malades (cancéreux). J'ai même été sollicitée par des Tunisiens et Marocains pour lancer des actions caritatives. Vu que j'ai une fille malade, je viens de prendre conscience qu'en Algérie nous n'avons pas de fondation s'occupant d'enfants malades. Ma fille ne peut pas vivre avec moi parce qu'il faut certains moyens (médicaux). Et ici, il n'y en a pas. Voilà ! Avant, j'étais un peu consciente, mais là, je suis directement impliquée.
-Pour revenir à votre album, est-ce difficile, voire risqué de chanter le style égyptien, actuellement ? Non ! Ce n'est pas difficile de chanter en égyptien. Actuellement, la réalité c'est que j'aurais pu interpréter mes chansons en algérien. J'ai recommencé à les écrire en algérien. Mais, c'est surtout que j'avais un contrat, un pré-contrat, si vous voulez, avec des sponsors égyptiens et, éventuellement, une signature avec des maisons de production qui est tombée à l'eau. Et, aujourd'hui, je suis un peu dans l'impasse. Je veux dire qu'en Algérie on ne peut pas trouver ce type de services. Je ne trouve pas de producteurs, de sponsors susceptibles d'aider les artistes, notamment une artiste comme moi qui a beaucoup de choses à donner et qui est dans la créativité. J'ai besoin de moyens et de soutien.
-Vous voulez dire que c'est très difficile de produire un album de qualité professionnelle en Algérie… Vous savez, je n'ai pas envie de dire que les autres bricolent. Les autres font ce qu'ils peuvent. Mais faire un album avec la recherche musicale, les arrangements et la composition de niveau international et l'enregistrement entier, me semble, pour moi, difficile en Algérie. Je ne diminue pas la valeur des gens, des artistes ou des individus. Mais je critique le fonctionnement en groupe (en matière de conception d'album). On n'est pas suffisamment professionnels et rassemblés. Vous savez, par exemple, Universal (le major) vous protège, réserve le studio, vous place, vous met en contact, choisit les musiciens… Vous avez besoin de 30 violonistes, il vous les ramène. C'est un budget énorme tournant entre 10 000 et 50 000 euros. En tout cas, c'est le budget de mes albums.
-Il n'y a pas de producteurs… Non, il n'y en a pas. Les uniques producteurs auraient été les quelques grandes sociétés d'Etat ou privées, les opérateurs de téléphonie… Vous savez, cela ne fait pas partie de leur objectifs (la musique). J'aurais aimé qu'il y ait un élan «nationaliste» pour la production des artistes algériens, surtout ceux qui fournissent des efforts. Je ne parle pas que de moi.
-Justement, vous avez fait le single Bladi… Oui, j'ai fait une chanson intitulée Bladi. Vous l'avez écoutée ? J'ai beaucoup investi sur cette chanson. Mais je veux un clip exceptionnel pour ce titre Bladi. Et je veux promouvoir l'Algérie à travers cette chanson.
-Comment affichez-vous votre différence ? Tout le monde a chanté Bladi, le bled, l'Algérie..? Je ne fais pas une chanson dans le conjoncturel. Je compose une chanson de fond qui reste. Une chanson doit ressembler aux gens. Toutes les chansons qui sont sorties, c'est tant mieux. C'est mignon, c'est beau. Mais il faut que mon travail soit à la hauteur des espérances de ceux qui m'écoutent. J'ai d'autres chansons que j'aurais aimé faire en clip, en algérien et que les gens aiment comme Sket (Je me suis tue) ou encore El Ghorba (L'exil) dans mon dernier album Amel Wahby. J'ai réalisé les clips avec mes propres moyens. Mais je ne peux pas faire plus. Il faut comprendre que la chanson, c'est une industrie. Des fois, un pays doit s'investir dans des «causes» (musique) comme les nôtres, artistes. Je ne suis ni ingrate ni égoïste. Et je ne peux pas dire que je n'ai pas été aidée ou soutenue. Ce n'est pas vrai. Mais disons qu'aujourd'hui je suis arrivée à une étape où j'ai envie d'exister artistiquement à un niveau égal à celui qu'on voit au Moyen-Orient, en Occident... Et je ne peux pas le faire toute seule.
-Quels sont les autres titres de l'album ? Aujourd'hui, je me suis rendue à six chansons. Il y a un titre qui parle des femmes autonomes, pas dans le sens péjoratif, mais que la société critique, c'est Aâlach. Il est typiquement algérien. Il y a un autre titre sur la nervosité de l'homme algérien, on se demande pourquoi ? (rires)
-Et l'amour aussi… Mais l'amour, c'est essentiel ! Je suis en train de chercher deux ou trois chansons qui parlent d'amour et qui marquent les esprits. En algérien, bien sûr ! Je construis ma musique à partir du texte. C'est le texte qui impose le rythme.
-Vous paraissez en paix avec vous-même… Vous savez, j'ai beaucoup mûri en tant que femme et artistiquement. Aujourd'hui, je n'ai pas peur de m'arrêter de chanter, d'attendre… Tout ce qui m'intéresse, c'est de bien faire la chose quand il faudra la faire. Je n'ai plus rien à prouver à personne. Le succès, le bonheur qu'on procure à quelqu'un en réalisant la part de rêve (de l'autre). Ce n'est pas mon rêve. Il y a une paix. Parce que je ne cours plus derrière le «Top 50» ou Top 10. Cette paix vient aussi du fait que je me défausse de la déchéance du showbiz au bon moment. Et cela m'a donné de la force.
-Amel veut dire espoir en arabe… Ah oui, c'est espoir. Ben oui, j'ai de l'espoir, c'est pour ça (rires). Il faut faire rêver les enfants. Nous avons besoin d'une élite, sans prétention, de leaders dans tout. Vous aimez la musique d'Ahmed Wahbi… Ah oui, j'aime beaucoup ! Ahmed Wahbi, c'est l'un des grands chanteurs qui ont réussi à faire le trait d'union entre l'oriental et la musique algérienne. D'ailleurs, je le «copie» un peu. C'est lui qui a innové dans le texte, le phrasé. J'en suis admirative.