Les Libanais, qui vivent avec la peur au ventre depuis que leur pays est redevenu le théâtre d'attentats à la voiture piégée, ont dû pousser hier un grand ouf de soulagement. L'explosion qui a secoué plus tôt dans la nuit dans la ville chrétienne de Jounieh est d'origine accidentelle. C'est un chauffe-eau qui a explosé de manière accidentelle. Une dizaine d'attentats à l'explosif ont frappé des régions résidentielles et commerciales chrétiennes de Beyrouth et de ses environs depuis l'attentat qui a coûté la vie à l'ancien Premier ministre libanais, Rafic Hariri, en février dernier. La peur à vrai dire a été renforcée par la crainte de nouveaux actes avec la publication du rapport de la Commission d'enquête des Nations unies. Jusque-là, pas de conséquences fâcheuses, mais pas au plan de l'enquête proprement dite. Comme le recommandait la mission de l'ONU, celle-ci s'est poursuivie hier au Liban où l'énigmatique témoin ou acteur désigné comme l'homme qui aurait téléphoné au chef de l'Etat libanais peu avant l'assassinat de Rafic Hariri. Il s'agit selon les premières informations d'un fondamentaliste sunnite libanais qui a appelé le portable du président libanais Emile Lahoud - ce que le cabinet de ce dernier a vigoureusement démenti - quelques minutes avant l'explosion qui a coûté la vie à Rafic Hariri le 14 février dernier. Il a été arrêté samedi, a-t-on indiqué hier de source judiciaire. Cité dans le rapport de la commission d'enquête de l'ONU en question, Mahmoud Abdel Al, membre de la Société de bienfaisance islamique Al Ahbache, a été arrêté quarante huit heures après sa publication, sur ordre du procureur général Saïd Mirza, a-t-on ajouté de même source. Mais qui est Mahmoud Abdel Al ? C'est tout simplement le frère d'un suspect clef, Ahmad Abdel Al, membre éminent d'Al Ahbache, « groupe libanais ayant des liens historiques forts avec les autorités syriennes », peut-on lire dans le rapport de la Commission onusienne dirigée par le magistrat allemand, Detlev Mehlis. Plus que cela, et selon ce document, Mahmoud Abdel Al a appelé le 14 février le téléphone mobile du président Emile Lahoud à 12h47 heure locale, quelques minutes avant l'explosion, et à 12h49 a eu un contact avec le téléphone portable de Raymond Azar, alors chef des renseignements militaires libanais, emprisonné depuis deux mois. L'arrestation de Mahmoud Abdel Al est la première annoncée au Liban depuis la publication du rapport de la Commission de l'ONU chargée de faire la lumière sur l'assassinat de l'ancien Premier ministre libanais. Un troisième frère d'Abdel Al est membre de la Garde présidentielle, dont le chef, le général Moustapha Hamdane, est (avec le général Azar) l'un des quatre officiers de haut rang pivots du système sécuritaire libanais sous la tutelle syrienne à avoir été écroués en septembre sur recommandation de la Commission Mehlis. Le bureau de presse de M. Lahoud a démenti vendredi que celui-ci a reçu « un appel téléphonique de la part d'un suspect » quelques minutes avant l'assassinat de Hariri. L'attaché de presse de la présidence a néanmoins concédé peu après qu' « un appel (avait) été enregistré sur un des portables en service à la présidence de la République » mais que « cet appel ne s'(était) pas fait avec le président ». Le groupe Al Ahbache, que l'on dit par ailleurs lié également aux services libanais notamment à Moustapha Hamdane, avait clamé vendredi dans un communiqué l'innocence des frères Abdel Al. Le gouvernement libanais a affirmé samedi que le rapport Mehlis était « à la hauteur des espérances des Libanais ». Dirigé par Fouad Siniora, ce gouvernement a été formé après les législatives de mai-juin, remportées par une coalition formée autour du fils de Rafic Hariri, Saâd Hariri, et dont les principales figures ont accusé dès le début la Syrie et la tête de l'appareil sécuritaire libanais d'être derrière l'attentat du 14 février. Longtemps en tête de la contestation antisyrienne, le chef druze libanais Walid Joumblatt a exhorté le président syrien Bachar Al Assad à « coopérer pour établir la vérité » sur l'assassinat de Rafic Hariri. « Si cela s'avère nécessaire, il est souhaitable de recourir à un tribunal international parrainé par les Nations unies et à l'abri de toute influence politique » pour juger les coupables, a ajouté M. Joumblatt qui s'éloigne rarement de son fief de Moukhtara, au sud-est de Beyrouth, craignant d'être assassiné. Chef du Parti socialiste progressiste (PSP) et membre de la majorité parlementaire issue des élections de mai-juin, M. Joumblatt a ainsi joint sa voix à celle de Saâd Hariri, qui a demandé samedi que les responsables de la mort de son père soient traduits devant un tribunal international. Faisant référence à d'éventuelles sanctions économiques que le Conseil de sécurité de l'ONU pourrait imposer à la Syrie, le chef druze a jugé nécessaire que celles-ci ne visent pas « le peuple syrien ». Cela est-il possible surtout que des expériences, pas si éloignées dans le temps ni dans l'espace comme c'est le cas en Irak, ont démontré que ce sont les populations qui en paieront le prix. Le Conseil de sécurité doit se réunir demain probablement pour pendre officiellement connaissance de ce rapport et de celui que doit remettre l'émissaire spécial de l'ONU chargé de suivre quant à lui l'application de la résolution 1559 stipulant notamment le départ du Liban de l'armée syrienne. Le retrait a été constaté fin avril dernier. Que comportera alors ce rapport ?