Il y a une incroyable frénésie à gagner de l'argent chez ce peuple génétiquement codé sur le commerce. C'est donc ça Beyrouth, cette capitale adossée aux pentes d'une montagnette qui ceinture l'extrémité orientale de la Méditerranée? Vue du haut du téléphérique reliant le quartier chrétien de Jounieh au Djebel Harissa (environ 5 km en voiture), Beyrouth a une étonnante ressemblance avec Alger: une beauté fragile et pleine de contradictions. Les deux capitales donnent cette étrange impression de décevoir et de fasciner à la fois. Toutefois la ressemblance s'arrête là. Car à Beyrouth il n'y a pas de métro, il n'y a pas de tramway qui se construisent comme à Alger. Mais il y a encore des enfants cireurs de chaussures, pas comme à Alger. A Beyrouth, les trottoirs sont très bien faits, contrairement à Alger où ils durent le temps d'un mandat d'un élu de l'APC. Beyrouth a su transformer les séquelles de sa guerre civile en objet de curiosité touristique, elle en attire des millions chaque année. Alger n'a pas excellé dans le marketing d'après-guerre. Beyrouth se reconstruit très rapidement avec, en plus, une esthétique urbanistique. Alger tente vainement de combler le déficit de logements en érigeant des cités dortoirs. Pour un premier contact avec les Beyrouthins, ils séduisent. Ils sont très sociables mais «si un Libanais vous serre la main, faites attention, il vous prend un doigt», avertit Akram, un Syrien employé dans une piscine. Il n'a pas tout à fait tort. Il y a une incroyable frénésie à gagner de l'argent chez ce peuple génétiquement codé sur le commerce. Comme si quelque chose allait arriver d'un moment à l'autre, tout risque de basculer. La guerre hante les esprits. Ce sentiment d'urgence ressort d'ailleurs chez les automobilistes à Beyrouth. Adeptes des grands coups d'accélérateur, les Libanais conduisent comme des fous. Respecter les feux rouges? Cela n'existe pas dans leur jargon. «Nous sommes une génération qui a vécu dans la guerre et c'est pour cette raison que nous ne respectons pas les piétons, le Code de la route mais il nous arrive de nous arrêter devant les feux rouges», avoue Salah Matar, 33 ans. Ce chauffeur d'un fourgon de transport public au centre-ville, gagne environ 1200 dollars par mois mais il n'est pas satisfait pour autant. «Ici la vie est très chère. Je n'ai pas de logement car il m'est impossible d'en avoir et je ne suis pas marié», confie Matar. «Tout ce que vous voyez ici, ces immeubles, ces locaux, ces terres et même ces tunnels n'appartiennent pas aux Libanais. Tout a été vendu aux Saoudiens, aux Koweïtiens, aux Américains et aux Français», dit-il avant de lâcher la sentence: «Le Liban est un pays où le peuple est riche et l'Etat est pauvre.» La traversée de Beyrouth fait surgir des contrastes saisissants dont certains rappellent la guerre civile qui a déchiré le pays pendant 15 longues années. L'épave de l'hôtel Holiday In, témoigne de ce drame. Inauguré en grande pompe en 1975, cet édifice majestueux n'a fonctionné que trois mois avant d'être la cible des factions rivales qui se faisaient la guerre. Il porte encore l'impact des milliers de balles et des trous d'obus. A quelques centaines de mètres plus loin, un autre témoin de cette tragédie. Un immeuble d'une soixantaine d'étages fuse d'un élan au ciel mais sinistrement vide. Construit en 1973 à la même époque que les tours jumelles de New York, cet élan d'imitation du gigantisme américain a été stoppé net par la guerre de 1975. Pour accentuer le contraste beyrouthin, des buildings luxueux poussent à côté de ces épaves exsangues. Et les contrastes ne manquent pas dans cette capitale des mirages. Il y a les riches et les pauvres, des laïcs et des islamistes, des chrétiens et des musulmans, des sunnites et des chiites, des églises qui jouxtent des mosquées. Ni francophone ni anglophone Un autre contraste: le Liban est en passe de perdre sa francophonie mais il n'est pas tout à fait anglophone, c'est à la fois l'Orient et l'Occident, il n'est ni très asiatique ni très arabe. Encore un autre: une teenager tendance au volant d'une BMW décapotable, un vieux fourgon Hundai à l'intérieur duquel s'entassent des voyageurs écrasés par la vie. La liste n'est pas exhaustive: des jeunes filles ostensiblement belles, moulées dans jeans battent le même pavé que des femmes voilée jusqu'aux ongles. «Beyrouth, c'est tout ça à la fois. C'est ce mixage et ces contrastes qui font son charme et sa particularité qui n'existe nulle part ailleurs», explique Ahmed, un Algérien de mère libanaise et dont le père est originaire de Constantine. Au passage, Ahmed n'a pas oublié d'exhiber le drapeau algérien sur sa voiture pour marquer sa sympathie à l'Equipe nationale. Au pays du Cèdre, c'est naturellement le Brésil qui domine. Sur les 18 millions de Libanais qui sont à l'étranger, 9 millions d'entre eux vivent au Brésil. En ce rayonnement du début de l'été, des grappes de jeunes, filles et garçons, des vieux et des ados, arpentent la corniche libanaise. La marche, le footing pour certains et pour d'autres, c'est la chicha (le narguilé) au bord de la mer. Un véritable sport national: ça chiche de partout. La corniche de Beyrouth est en quelque sorte un mélange entre le front de mer oranais et Bab El Oued à Alger. Cette corniche constitue le coeur battant du Beyrouth nocturne où les effluves marines se mêlent au charbon de bois, et au tabac sucré des narguilés. La partie Ouest de la corniche se termine par Raouché (le rocher). Ce sont deux formations sédimentaires qui émergent au bord de la mer, les deux rochers sont surplombés de cafés restaurants où l'ont sert boissons, glaces, salades et autres mets qu'on peut savourer à la fraîcheur d'une brise marine. Le côté Est de cette corniche commence par un rappel sur le destin tragique d'un politique libanais. Une statue en bronze fige l'ancien Premier ministre Rafik Hariri. La Mecque libertine et capitale du péché Assassiné à quelques mètres de l'hôtel Saint Georges, Hariri scrute à l'infini l'horizon pour mieux exorciser les contrastes de sa capitale qui l'a vu mourir. C'est Hariri qui a construit et qui a été propriétaire d'une grande partie du «Solidaire». Un quartier devenu une destination privilégiée de la jeunesse dorée de Beyrouth. Décapotables de luxe et 4x4 rutilants se disputent les faveurs des voituriers du Bouda Bar sous le regard blasé de la soldatesque libanaise. «Ici on s'est toujours éclaté quoi qu'il arrive», semble lancer cette jeunesse à la face du monde. La corniche et Raouché et le Solidaire sont des zones musulmanes. Jounieh, c'est le côté Beyrouth chrétien, quartier branché où se fait la vie nocturne. Les Beyrouthins, toutes communautés confondues, s'y mélangent dans une ambiance festive arrosée. Une intensité nocturne sans égale qui offre le paradis perdu aux milliardaires et autres princes du Golfe. La nuit, Jounieh ressemble à un parc d'attraction interdit aux moins de 18 ans. «A Jounieh on fait la fête, on s'éclate mais il faut avoir beaucoup d'argent, vraiment beaucoup d'argent», raconte un vendeur de fèves bouillies et de maïs. Ce sont surtout les Libanais de la diaspora et les milliardaires du Golfe qui s'offrent ce genre de soirées. Ils y retrouvent leurs rêves et du plaisir à tous les goûts. Avant la guerre civile, on surnommait Beyrouth la «Suisse du Proche-Orient» où les touristes se bousculaient pour savourer la douceur de vivre. Les conflits et les guerres se succèdent, mais Beyrouth n'a jamais cessé d'être la capitale du péché. Des cendres des conflits antérieurs jaillit un festoiement à la limite de la débauche. Les nuits enfiévrées de Jounieh drainent des millions de touristes et autant de dollars au goût de pétrole. Surplombant la baie de Jounieh, lové au flanc de la montagne Maameltein, le casino de Beyrouth trône entre ciel et mer. Ce gisement d'argent offre une époustouflante palette de loisirs. Des milliers de personnes agrippées à des machines insatiables transcendent les dogmes et les interdits religieux du Golfe. «Ici les Saoudiennes et des Emiraties troquent leur voile l'espace d'une nuit de jeux», fait remarquer Mohammad, un jeune Libanais de Baalabek. Beyrouth, ville de mirage et de désirs. A sa sortie Sud, vers l'aéroport, vous y découvrirez un autre monde. Celui fait de bidonvilles des camps de Sabra et Chatila où nichent la misère et le dénuement, loin des nuits dorées de Jounieh. Telle est Beyrouth.