Les non-musulmans en terre algérienne se cachent pour manger durant le Ramadhan. Rien de bien étonnant au vu de cette réputation, parfois justifiée, de pays intolérant et inhospitalier aux «autres». Lois réprimant les convertis, forces de l'ordre qui pourfendent les non-jeûneurs, tribunaux qui emprisonnent les «casseurs de Ramadhan, restaurants fermés ou hôtels en mode «carême obligatoire», ne sont pas fait pour attirer les touristes durant cette période. Oscillant entre respect des us et coutumes et peur des représailles, les ressortissants étrangers établis ou de passage en Algérie «endurent» tant bien que mal ce mois. Et il est chose aisée d'imaginer que les quelque 70 000 ressortissants étrangers, recensés à différents titres au cours de cette année, soient, comme qui dirait, «briefés» à ce sujet. «Tout le monde sait que pendant le Ramadhan, tous les restaurants ferment, qu'il faut manger en cachette, mais aussi que la nuit venue, des fêtes sont organisées», raconte un jeune Suisse, d'une vingtaine d'années, employé au sein d'un organisme international. Mais les étrangers déserteraient-ils l'Algérie durant le Ramadhan ? Car, tenus pour prévenus, ils privilégient cette période afin de prendre congé. Notre jeune Suisse ne déroge pas à la règle. Relation de cause à effet ? «En quelque sorte, oui», reconnaît-il. «Ma supérieure m'a suggéré de prendre mes congés pendant le mois de Ramadhan, parce que les activités diminuent», explique-t-il, ajoutant : «Ce n'était pas un ordre de sa part, mais une suggestion appuyée.» D'ailleurs, selon lui, l'ensemble de ses collègues étrangers a quitté Alger en perspective de ce mois pour raisons professionnelles ou pour vacances. «Il n'y a rien d'étonnant à ce qu'ils soient rentrés chez eux, car il n'y a pas grand-chose à faire», avance-t-il. Et, en tout état de cause, une baisse de l'activité aéroportuaire entrante s'en ressent. «Depuis le début du mois d'août, la tendance est surtout aux départs. Quant au trafic vers l'Algérie, après un rush début juillet jusqu'aux jours qui ont précédé l'avènement du Ramadhan, il est des plus faibles», explique-t-on du côté d'Air Algérie. «Août est le mois des grands congés et, sauf cas d'affaires impératives, les déplacements vers l'Algérie sont réduits au strict minimum. Tout est fermé et le climat n'est pas des plus favorables», avance-t-on. Toutefois, certaines affaires ne souffrent d'aucun retardement ou de report sous prétexte de jeûne. «Il y a effectivement une légère diminution de la clientèle étrangère depuis quelques jours. Août est le mois des congés et tous ceux qui ont eu la possibilité de partir en vacances ont fait d'une pierre deux coups», confirme M. Sahraoui, responsable au sein de l'établissement El Aurassi. D'ailleurs, il est estimé que près de 20% de la clientèle «aoûtiste» de l'hôtel est composée de ressortissants étrangers, hommes d'affaires pour le plus gros. Et tout le monde n'est évidemment pas logé à la même enseigne. Pas de changement de régime dans les hôtels internationaux Contrairement aux résidants permanents, les étrangers de passage n'ont pas tant de mal que l'on se l'imagine afin de se sustenter ou de maintenir un régime «normal». Ou tout du moins s'ils ont la chance de loger dans un hôtel international haut standing. A El Aurassi par exemple, «aucun changement n'a été apporté à la nature ou aux horaires du service», confie l'hôtelier. «La restauration est assurée. Nos établissements gastronomiques sont ouverts dans la journée et le bar continue à satisfaire la clientèle, sans distinction aucune», confie l'hôtelier. Même son de cloche au Mercure qui, pour sa part, n'a pas constaté de baisse dans la fréquentation de son établissement. «Il y a des clients permanents, employés des compagnies aériennes étrangères pour la plupart ou ceux qui transitent par l'Algérie et qui font escale dans notre hôtel», explique M. Mahrez, chargé de la communication du Mercure, où les habitudes culinaires n'ont pas été bousculées d'un iota. Chose plus que compréhensive lorsque l'on sait qu'en plus des revenus d'un établissement, c'est aussi sa réputation «hype» qui est en jeu dès lors qu'il s'agit de clientèle étrangère et d'autant plus lorsqu'il s'agit d'une chaîne internationale de renom. «Ils ne sont pas là pour le plaisir ou le tourisme, ils sont là pour travailler, parce qu'ils n'ont pas le choix. La moindre des choses est de leur assurer les premières commodités», explique un hôtelier. Car il est évident qu'au vu de la réputation, «pas très accueillante» détenue par l'Algérie, le «simple touriste de base» ne s'aventurerait pas en ce mois délicat pour les non-musulmans. Bertrand, jeune Français, ayant déjà séjourné dans notre pays, abonde dans ce sens. «Est-ce que je viendrais pendant le Ramadhan ? Si je veux faire mon touriste de base, non, je ne viendrais pas», s'amuse-t-il. M. Sahraoui, responsable à El Aurassi, est d'ailleurs du même avis : «Un touriste ne s'amuserait pas à mettre les pieds ici maintenant !», estime-t-il. «À l'extérieur, c'est tout comme si nous avions jeûné !» Eh bien, pas si sûr. «Nous devons être les seuls étrangers à être là pour le Ramadhan», confient, dans un éclat de rire, Laura et Stéphanie, deux jeunes journalistes françaises. Entre la date de leur arrivée, début août, et celle de leur départ, elles ont eu tout le loisir de constater la différence de rythme qui prévaut durant le mois sacré. «Au début, mercredi donc, tout était fermé. Il est vrai que nous étions un peu inquiètes», confient-elles. D'autant plus que, contrairement aux grands établissements huppés, l'hôtel dans lequel les jeunes femmes logent, en pleine rue Didouche, n'assure aucun service de restauration durant la journée. «Mais les tenanciers nous ont prévenus à la veille du premier jour. Ils nous ont aussi assurés qu'en cas de besoin, nous n'avions qu'à en faire la demande pour être servies», tempèrent-elles. «Pourtant, rien dans les textes n'oblige les restaurateurs à fermer boutique», objecte Me Mustapha Bouchachi, président de la Ligue algérienne des droits de l'homme. «D'ailleurs, l'on se rappelle qu'il y a encore quelques années des cafétérias ouvraient le plus normalement du monde. C'était laissé à l'appréciation de tout un chacun», se rappelle Me Amara Mohcène. Et aujourd'hui ? «L'affluence des différents courants islamistes est allée grandissante, et ce, en sus de la pression populaire, qui a vite fait de les décider», explique-t-il. C'est la loi du rite, l'obligation de fait qui s'applique. Comment s'en sont donc sorties les jeunes Françaises ? «Nous achetions des babioles chez l'épicier du coin et, dans l'intimité de notre chambre, nous mangions, buvions et fumions. Même si pour ce dernier point, nous nous sommes quelque peu habituées à ne pas le faire en public», racontent-elles. Cependant, l'épreuve la plus difficile pour Laura et Stéphanie restera la privation d'eau, en ces journées caniculaires, ponctuées de longues courses et visites à travers la ville. «Alors, nous faisions des réserves. Mais à l'extérieur, c'est tout comme si nous avions jeûné !», assurent-elles.