Quelle lecture faites-vous du phénomène de la violence en Algérie et quelles en sont ses origines ? Dans ce domaine, l'Algérie est plutôt proche des cas connus de l'Amérique latine et de l'Afrique subsaharienne que de ceux du monde arabe et musulman. La violence qu'on constate dans la société algérienne porte des formes nouvelles qu'on pourrait classer dans deux catégories : celle ayant trait à la petite délinquance et l'autre relative au grand banditisme, à la violence de grande envergure et au crime organisé. Pourquoi cette violence ? L'explication la plus simple qui me vient à l'esprit est à chercher dans les conditions extrêmement difficiles de vie. La société est marquée par une forte paupérisation ces dernières années. Cela n'est qu'un élément parmi tant d'autres, car il faut aussi regarder du côté de nos propres valeurs. Celles-ci - et je ne suis pas le seul à le penser - sont trop permissives face au vol, au mensonge, etc. La société algérienne ne punit pas assez le voleur. Dans certaines situations, le vol, à titre d'exemple, est perçu comme une forme d'intelligence et de débrouillardise. Il me paraît ainsi que le problème est également d'ordre moral. L'autre élément est démographique. La transition opérée dans ce registre pose énormément de problèmes. A titre indicatif, la moyenne d'âge de mariage pour les femmes est passé à 28 ans en Algérie. Ajoutez à cela la crise du logement, le chômage, les problèmes de sexualité et aussi, et surtout, les effets et les conséquences du terrorisme. Une génération au moins a vécu et grandi sans normes à respecter et sans Etat. Elle a évolué dans la délinquance et dans un total laisser-aller, comme si c'était une situation des plus normales. Actuellement, nous sommes peut-être en train de faire les frais de cette situation. De ce fait, on peut dénombrer plusieurs raisons qui peuvent être à l'origine du phénomène de la violence urbaine, en plus des conditions socioéconomiques et la permissivité des valeurs. On peut identifier une autre forme de violence qui peut s'assimiler à une forme de résistance sociale. Celle-ci touche les personnes qui refusent les énormes disparités sociales qui traversent la société algérienne et qui est née suite à l'enrichissement fulgurant et illégal de groupes sociaux créant un état de tension permanent. On distingue, pour revenir à mon premier propos, deux grandes formes de violence : la petite délinquance générée par les conditions socioéconomiques et qui peut être contenue à court ou à moyen termes. Mais, la crainte vient essentiellement du banditisme structuré et organisé qui se trouve imbriqué dans le trafic d'armes, les braquages à main armée, etc. Quel rôle jouerait les ex-terroristes dans ce domaine ? Des éléments d'information nous permettent d'identifier une forme de reconversion de la violence, celle que produisent certains anciens terroristes islamistes qui se sont reversés dans la pratique du banditisme. C'est un phénomène observé dans d'autres régions du globe, comme c'est le cas en Colombie par exemple. Les milices et les groupes paramilitaires ainsi que les groupuscules maoïstes et marxistes, qui étaient animés par des ambitions politiques, se sont convertis aux pratiques du grand banditisme et les trafics en tous genres. Car, au préalable, ils ont dû tisser des liens très solides avec les milieux du crime et de la drogue. En conclusion, plusieurs raisons concourent à l'émergence de ces différentes formes de violence, dont celles ayant des rapports directs avec la politique, les conditions économiques et l'absence manifeste de l'Etat. Justement, en parlant de l'Etat, croyez-vous le discours officiel assez rassurant au demeurant, qui tend davantage à minimiser les proportions que prend ce phénomène ? C'est peut-être cette violence qui va faire rater au pays beaucoup de choses. On n'a qu'à méditer le classement fait par les Anglais des villes vivables dans le monde où Alger se rapproche malheureusement d'une ville comme Bogota, la capitale colombienne. C'est assez édifiant. Et l'absence de la sécurité affecte indéniablement l'économie locale en ce sens qu'elle interdit ou limite drastiquement toute velléité d'investissement. Après une décennie terroriste, le pays se retrouve de nouveau confronté au phénomène de la violence qui ressort sous d'autres formes. Quelle serait à votre avis la démarche à suivre pour la juguler ? Je crois que beaucoup de gens avaient prévu ce scénario, j'en fais personnellement parti. On avait dit qu'après la décennie terroriste, on assistera à l'avènement de nouvelles formes de violence à différents caractères. Malheureusement, ce ne sont pas uniquement les grandes villes qui en sont atteintes, mais aussi les petites et moyennes villes. Il suffit de lire la presse nationale pour se rendre à l'évidence. La criminalité est en hausse et le phénomène se développe sous différentes facettes : le crime à l'intérieur de la famille et les violences, dont se rendent responsables les enfants, ont fait leur apparition. Cela nous interpelle également en tant qu'intellectuels. Il est, à ce titre, impératif de réguler la vie de la société algérienne dans la ville. Pour ce faire, il faudrait réhabiliter l'image de la ville aux yeux de l'Algérien, le sédentariser en quelque sorte. Cela ne pourrait se faire qu'avec une politique culturelle, sociale et sécuritaire et autres pour apprendre au citoyen algérien à vivre dans une ville d'une façon normale et sans qu'il ait recours à l'usage de la violence. Pensez-vous que les moyens répressifs mis en place, ou annoncés comme tels, sont à même de résoudre cette question ? La présence de la police et de l'Etat est plus que nécessaire. Cependant, cette présence à elle seule ne suffit pas, et ses effets ne seront pas perceptibles avant quelques mois, voir quelques années. Il faut également traiter les problèmes de fond, qui sont les rapports des Algériens avec leurs villes, les valeurs enseignées au sein de la famille et de l'école. Il faudra aussi, et surtout, légitimer les disparités sociales, ce qui pourrait atténuer le volume de la violence sociale.