Le très bel article d'Ali El Kenz sur les langues (El Watan du 1er septembre 2010) a attiré mon attention sur trois points : La dichotomie langage/langue établie par le linguiste ; le langage, objet du psycholinguiste ; l'impact de l'absence de l'enseignement de la langue en milieu scolaire algérien, sur la recherche psychologique, qui par ailleurs est actuellement inscrite dans les neurosciences cognitives. I- La dichotomie langage/langue : Point de vue du linguiste Le langage dont il est question dans l'article n'est pas la langue. Le premier terme de cette ancienne dichotomie affère à l'usage des structures linguistiques, dans le procès de la communication orale, par une communauté donnée. On parle de langage des sourds, de langage normal… L'étude du langage implique donc outre la linguistique, la psychologie cognitive. C'est l'objet du psycholinguiste, étant entendu que la psycholinguistique compte plusieurs domaines, comme l'acquisition, le langage pathologique, la e communication. La langue correspond à l'écrit et elle possède ses propres règles internes, dont la description relève du travail du linguiste : discursivité, argumentation, redondance, anaphore, implicite, cohérence, cohésion, ponctuation… on parle de langue anglaise, de langue arabe,… Elle véhicule la science, le savoir, la culture et la civilisation, on la trouve donc dans les revues scientifiques, dans l'article d'Ali El Kenz, dans le roman… L'accès à l'écrit se situe à l'âge de 5-6 ans et démarre à l'âge scolaire. L'acquisition du langage oral de 0 à 4 ans en permet le développement des pré-requis : perception des caractéristiques acoustiques des sons, espace-temps, latéralité, graphisme, le tout à travers le jeu. Ces instrumentalités continuent de se développer jusqu'à 8 ans.Des psychologues comme Vygotsky, Piaget, Brunner, expliquent les stades de développement cognitif de l'enfant universel.Ils démontrent qu'à partir de 4 ans, se développe la fonction hypothético-déductive : l'enfant commence à élaborer son propre réel, à raisonner, à se projeter dans le futur, afin de se réaliser et par-là, sa personnalité se forge. A l'école, définie par Jules Ferry comme étant l'accès à la connaissance, l'enfant quitte l'oral pour apprendre à maîtriser les règles de l'écrit. La maîtrise de l'écrit se fait donc grâce au développement de l'opération cognitive d'analyse-synthèse des données scolaires, à commencer par la langue. II- En l'absence de l'enseignement de la langue, c'est le langage oral qui est enseigné au sein de l'école algérienne En effet, l'objectif de l'enseignement de la langue à l'école algérienne, c'est la répétition de la phrase, traduite en arabe classique, de l'oral : [tchina] = [burtuqala]. Or, la phrase, d'après les théoriciens de l'acquisition, est acquise à 18 mois. Le texte d'auteurs consacrés et la littérature enfantine sont absents en milieu pédagogique algérien jusqu'à l'âge adolescent, ce qui veut dire que le rêve, le merveilleux du conte, la projection dans l'abstrait et dans le futur, l'esprit d'analyse et de synthèse, à l'origine de l'élaboration de thèses infinies, sont des processus qui ne sont pas permis à l'enfant algérien, à la tranche d'âge à laquelle ces paramètres cognitifs doivent être stimulés, comme s'il n'était pas un universel. La répétition, processus automatique, ne laisse pas place au libre épanouissement de l'esprit créatif, de l'esprit de synthèse permettant le dégagement de thèses. Par la phrase, l'enfant n'a rien à traiter mentalement.Ainsi, le produit de l'école algérienne, où il s'agit d'apprendre automatiquement et par cœur des structures toutes faîtes, sera donc l'être objet, l'être assisté, qui ne sera pas autonome, qui ne sera pas l'homme sujet, qui ne sera pas capable de réagir à toutes sortes de crises sociales. Tout a une genèse dans la vie. En effet, la thèse se cristallisera demain grâce à l'autonomie et au raisonnement en production de technologie et d'indépendance économique. C'est pourquoi, les théoriciens du développement cognitif et de l'acquisition insistent sur la matière à donner à l'école à traiter mentalement par l'enfant en cours d'acquisition, c'est-à-dire à une tranche d'âge extrêmement vulnérable. Il faut donc que la fonction hypothético-déductive s'épanouisse au contact d'interactions positives. Le texte porteur de la langue en est le moyen à l'école.
I- Les implications sur la recherche psychologique En Algérie, la production de l'homme dépendant de l'homme objet explique la pléthore de projets de recherches en psychologie dans des thèmes comme le suicide, le psycho-trauma, le genre, la violence, le brûleur de frontière, la drogue, l'assistance par l'Ansej… Par ailleurs, la recherche en sciences cognitives dans le monde va jusqu'aux études sur le mode de production de génies. En effet, dans des laboratoires lyonnais et canadiens, est recherché, à travers les productions de Ibn Rochd, ce qui a fait que cet homme fut un génie. Autrement dit, Arianne, la cybernétique, la physique nucléaire… ne suffisent plus aux pays avancés, ils veulent des génies… Or, l'explication des malheurs sociaux est à rechercher dans sa genèse, à commencer par ce qui se passe cognitivement, entre les 4 murs de la classe scolaire pour nos enfants. Ceux-ci aujourd'hui ne peuvent pas se projeter dans le futur, même avec un 14 au baccalauréat. L'article de M. Nini, paru dans le Soir d'Algérie du 21 août, est édifiant à ce sujet. Or, dans toutes les disciplines, on décrit pour classer dans un ordre et on explique pour prendre en charge le fait étudié.Autrement dit, les solutions sont dégagées de son explication et non de sa description. En médecine, il s'agit d'étiologie. Par conséquent, les recherches en psychologie sociale, descriptives et symptomatiques donc ne suffisent plus. C'est la raison pour laquelle la recherche psychologique actuelle s'inscrit dans la psycholinguistique clinique et le soin neuroscientifique. Comment ce domaine est-il né ? Plongeant ses racines dans les travaux de sociologues comme Bourdieu, lequel, à travers le concept de capital culturel développé dans les années 1960-1970, a eu le mérite de remettre en cause les pédagogies qui, à travers la critériologie sociologique, étaient de type discriminatoire, il est axé sur le fonctionnement du cerveau, siège des cognitions, dans l'explication du comportement social et de la production humaine. En effet, puisque ces sociologues n'avaient cependant pas le moyen de proposer des solutions, ce sont alors les thèses d'acquisition qui, injectant le critère linguistique dans les concepts cognitivistes, ont créé des principes pédagogiques inscrits dans les thèses universelles du développement cognitif chez l'enfant. Tout est donc axé autour de l'acquisition de la langue. En conclusion, si l'article d'Ali El Kenz confirme la négation du langage oral naturel dans la pédagogie en Algérie, la présente proposition attire l'attention sur les graves conséquences de la négation de la langue écrite dans cette même pédagogie.