Sid Ahmed El Kebir, le vénéré marabout, considéré comme le père fondateur d'El Bouleïda (La villette), est un personnage-clé dans la lecture du passé de la ville. Tout commence par lui, compte tenu de la pénurie d'archives historiques. Blida, qui n'en finit pas de collectionner les paradoxes, est la seule ville du nord à ne pas avoir son historien. Tout le passé écrit est contenu dans une maigre monographie extraite de la tradition locale et reprise par un officier de l'armée française, le colonel Trumelet, qui a réuni en un seul volume les témoignages de nombreux habitants de la ville vers 1870. Edité par la maison Mauguin, ce livre qui porte bien son titre, Blida, est épuisé depuis plus d'un siècle. Face à cette carence, il reste à décrypter la légende. L'acte de naissance de la ville date officiellement de 1535, le jour où l'Amiral Kheïr Eddine, au summum de sa puissance, décida de rendre visite à Sid Ahmed el Kebir isolé dans sa retraite (El Kheloua) en bordure de Oued el Kebir. Kheïr eddine vient de consolider Alger dans sa position de puissante plateforme maritime. Le Penion est enfin libéré des mains des Espagnols après vingt jours de combat acharnés. Les trois îlots (El Djazaïr) sont reliés pour en faire un port. Les qualités militaires de Kheïr Eddine ont atteint une renommée sur toutes les mers connues. En cette année 1535, le Pacha apprend sa nouvelle mission de chef des armées de l'Empire ottoman sous la bannière de Soleiman le Magnifique. Il craint, cependant, que son départ d'Alger attise les convoitises des fougueuses tribus de la Mitidja et sa périphérie qui attendent l'occasion pour tomber comme des sauterelles sur la cité de Abderrahmane Ethaâlibi. Ces tribus sont nombreuses et indisciplinées, elles peuvent surgir du Sahel. Il décide, alors, de mettre à profit l'influence de Sid Ahmed el Kebir dont il sait combien il est respecté sur l'étendue de la Mitidja des Chnaoua, à l'ouest près de Cherchell jusqu'aux Aouifia à El harrach. Le Pacha avait déjà su obtenir l'alliance sincère de nombreux chefs de tribus sur l'étendue du territoire pour repousser la conquête espagnole. Parmi ces hommes, l'histoire retient le nom de l'intrépide Sidi Lakhdar Ben Khelouf qui a marqué son époque sur le plan littéraire et militaire dans les combats à Mazaghran, Cherchell et El Merdja à Chlef. Ses poèmes chargés par ces faits d'armes constituent l'essentiel du répertoire des maîtres du chaâbi, Kamel Bourdib, Bouadjadj et le regretté Rachid Nouni. La démonstration de force Les premiers cavaliers éclaireurs arrivent un matin devant la demeure de Sid Ahmed El Kebir pour annoncer l'arrivée du Sultan. Kheïr-Eddine Barberousse était à la tête de plusieurs détachements armés de la Régence : les bachi-bouzouks en premier, suivis par les arquebusiers et les redoutables Janissaires reconnaissables à leurs bonnets blancs et yatagans à la ceinture. La cavalerie fermant une marche en ordre parfait, cadencée par le rythme des fanfares et tambours. Le marabout âgé de 59 ans vivait dans sa «kheloua» depuis 16 ans. Il était venu dans ce coin de la plaine en 1519. Durant ce laps de temps, rien n'avait changé, hormis un sentiment de paix générale qu'il a pu initier. On dit, mais on n'a pas de certitudes, que la ville était réduite à deux hameaux principaux : Ouled Soltan ou Douirette et Bouh'djar situé sur l'actuelle place du marché au bas de la rue Abdallah. L'objet de la visite de Kheïr Eddine était simple et sérieux à la fois. La mission dévolue au marabout tait l'organisation des travaux de quelques bâtiments publics pour créer une force d'inertie. Alger de l'époque se limitait à la forteresse de la Casbah. Avec un espace saturé qui ne pouvait abriter tous les réfugiés morisques d'Espagne. La future Blida devait donc recevoir une partie du lot de cette population dans des conditions convenables. Six ans après cette historique rencontre, Sid Ahmed el Kebir meurt, mais il a eu le temps d'accomplir sa charge de premier wali d'un ensemble urbain qui connaîtra la fortune avec le dynamisme impulsé par les Andalous. le saint homme n'avait jamais montré d'ambition politique ou d'administrateur et sa conduite en parfaite harmonie avec ses convictions. Il était entièrement porté par sa ferveur mystique, vivant dans le dénuement. Durant les seize années écoulées, il avait été souvent conduit à arbitrer des conflits tribaux, mais aucun écrit ne l'atteste. Il est certain, cependant, qu'il fut adopté par la population comme un modérateur investi par un sentiment de confiance auprès des tribus qui imploraient sa baraka. Et ces tribus étaient nombreuses avec de grandes aptitudes à la guerre. Sid Ahmed el Kebir fut sans doute un homme qui a concentré toutes les qualités de chef spirituel et de juge. On peut penser qu'il savait parler aux hommes et qu'il était écouté avec respect.