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«J'enregistre la mémoire contemporaine»
MALEK BENSMAIL, REALISATEUR, À L'EXPRESSION
Publié dans L'Expression le 14 - 04 - 2010

«Résister, c'est aussi penser le regard» est la devise de notre réalisateur qui évoque avec nous, ici, son nouveau docu portant sur la Fédération de France du FLN tout en soulignant les péripéties qu'a rencontrées son dernier documentaire La Chine est encore loin, lequel sortira le 28 avril en France. Des déboires bureaucratiques liés à la gestion aléatoire du cinéma dans notre pays. On l'écoute.
L'Expression: On croit savoir que vous préparez actuellement un nouveau documentaire portant sur la Wilaya VII ou la Fédération de France du FLN, est-ce exact?
Malek Bensmaïl: Oui! C'est un documentaire sur la guerre du FLN en France. Le docu s'inscrit dans la ligne de ce que j'aime faire. Il s'agira de revenir sur cette histoire en tentant de donner la parole à tous ces témoins de la Fédération de France du FLN qui ont mené des actions, ainsi qu'à des intellectuels de gauche en France qui ont accompagné la Fédération, ceux qui ont mené des attentats, ceux qui ont mené la bataille de l'écrit, c'est-à-dire des éditeurs, notamment Maspéro, un éditeur suisse qui a accompagné la guerre d'Indépendance, il s'agira de donner aussi la parole à des anciens de la DST en France qui ont torturé, arrêté des combattants du FLN, etc.
Il s'agira de faire un film sur un sujet qui n'a jamais été abordé avant, en tout cas sur cette fameuse Wilaya VII, avec une vraie mise en perspective historique.
Peut-on connaître les personnes que vous avez interviewées ou êtes en train d'interroger en ce moment?
Il y a toutes les personnalités, je dirais qui étaient dans la Fédération de France. On a une liste de personnalités qui étaient extrêmement actives, celles qui étaient dans l'Organisation spéciale, celles qui étaient des agents de liaison, celles qui ont posé des bombes.
Un mot sur la préparation de ce film...
Cela se prépare avec des repérages, des prises de contact, on filme essentiellement à Alger puis une partie en France, avec un gros travail de recherche d'archives. Il va y a voir un peu de la Télévision algérienne, mais le plus gros va se faire surtout au sein de l'INA, de la Rtbf, la Télévision belge, enfin là où on trouvera des documents inédits.
Un mot sur votre dernier documentaire en date, La Chine est encore loin, qui n'a pas bénéficié de l'aide du Fdatic. Qu'en est-il de celui-là?
Nous n'avons pas eu l'aide du Fdatic. Nous avons eu que l'aide de «Alger capitale de la culture arabe 2007» et ce, en deux tranches. La deuxième tranche a été donnée il n'y a pas très longtemps. Il y a à peine quinze jours. La seconde tranche de la télé qui avait coproduit le film n'est, non plus, pas arrivée. On ne sait pas pourquoi.
Concernant ce nouveau documentaire, pour l'instant, nous n'avons pas encore fait de demande de soutien aux institutions algériennes parce que je pense que ça risque d'être long. C'est un peu décourageant parfois.
Je préfère ne plus faire de demande dans ce cas. Je préfère m'en passer vu ce qui s'est passé sur La Chine est encore loin. Ça alourdit tellement le processus. C'est fatigant au bout d'un moment. Je ne sais pas vraiment ce qui s'est passé avec ce documentaire. J'ai envie surtout d'avancer.
Moi, je fais des films qui me semblent essentiels et je les fais tel que j'ai envie de les faire, avec la liberté de ton, avec ma vision des choses. Après, si on me soutient, tant mieux! En tout cas, je me battrai pour avoir les financements qui me semblent nécessaires pour un film. Maintenant, je trouve complètement dommage qu'on ne puisse pas avoir un soutien financier, ici en Algérie, parce que je trouve qu'on est un pays riche et c'est déplorable d'aller quémander à l'étranger des fonds pour faire des films sur sa propre mémoire. Je trouve cela absurde.
Cela fait quinze ans et ce n'est pas normal qu'on soit dans un système hyperbureaucratique où les commissions fonctionnent comme bon leur semble. Sont-elles vraiment transparentes? Comment arrivent-ils à lire un scénario? Est-ce des gens compétents? Je ne sais pas. Par exemple sur La Chine est encore loin, on n'a pas eu le Fdatic, ce qui est anormal. Mais bon, cela fait partie du jeu, mais parce que je pense que les choses ne sont pas très clarifiées. On ne sait pas comment ça fonctionne. C'est assez obscur.
Le film n'est jusqu' à présent pas sorti en Algérie.
On a fait une demande de visa d'exploitation et on attend toujours. Il faut que ça sorte en salle. Je suis sûr qu'en salle il peut fonctionner. Le public algérien est en demande. Il faut aller vers les salles, que le film soit vu, organiser des débats. Il faut que le film circule. Au contraire, c'est un vrai film avec une vraie réflexion sur le système éducatif.
Quel a été l'impact de ce film à l'étranger?
C'est un film qui montre aussi une zone rurale, et les difficultés que l'on peut avoir aujourd'hui à se questionner sur notre propre histoire. En même temps, c'est un film plein d'espoir, où l'on voit une jeunesse pleine d'énergie, on voit la malice des enfants. Le film est assez bien reçu et a fait l'objet de nombreuses critiques. Et c'est cela le but, susciter des questionnements. C'est le plus important pour moi.
Le prochain docu s'appellera comment?
Pour l'instant, il a un titre provisoire. Il s'agit de La Guerre secrète du FLN en France.
Pourquoi un tel film au jour d'aujourd'hui en pleine crise algéro-française? Ou est-ce parce que, peut-être, c'est le moment, car les archives commencent à être dévoilées et les langues sur l'histoire à se délier?
On commence à ouvrir les archives et puis je pense que c'est un point de l'histoire qui n'a jamais été raconté, c'est-à-dire qu'on a beaucoup ciblé l'histoire algérienne uniquement sur son territoire, à travers ses cinq wilayas, jamais sur ce qui s'est passé à l'étranger. Or, il y a eu beaucoup de réseaux.
On a parlé, soit du réseau Jeanson en France ou des choses comme ça. Il y a eu effectivement, de vrais combattants sur le territoire français, qui ont entrepris des actions, posé des bombes, mené des attentats. C'est cette partie-là qui m'intéresse, car elle a été quelque peu occultée.
Un cinéaste est là, pas pour rétablir des vérités, mais pour réinscrire certaines choses mises à l'écart.
Il y a eu aussi une guerre fratricide énorme entre les militants du MNA, (le Mouvement national algérien de Messali Hadj et le FLN, qui s'est soldée par 4000 morts. Ceci n'est pas enseigné dans les manuels scolaires.
Je pense que c'est important aujourd'hui de réhabiliter cette histoire, quitte à ce qu'elle fasse mal. Pourquoi aujourd'hui? Car ces vieux combattants sont en train de disparaître tous.
Et s'il n'y a pas de documentariste qui pose la question et dise «je dois enregistrer cette mémoire et ces visages-là, ces témoignages», personne ne le fera! Et il y en a déjà qui sont partis. C'est urgent aujourd'hui d'enregistrer cette mémoire-là. Donc, je ne suis pas du tout dans cette actualité entre gouvernants. Je m'inscris à l'opposé de ce qui se passe dans la haute sphère. Cela ne m'intéresse pas.
Vos films dérangent. Le savez-vous?
Il y a eu beaucoup de conflits autour de mes films, car les gens prennent mes films presque comme un outil politique. Alors que ce ne sont pas des outils politiques. Il faut les prendre comme des films, en dehors de quelconques enjeux de pouvoir.
Je ne suis pas dans le militantisme. J'enregistre la mémoire contemporaine. C'est dommage que cela soit après, récupéré par un tel ou tel Etat. Je ne suis qu'un grain de sable au milieu d'un océan.
Je tente modestement d'inscrire cette mémoire, l'enregistrer, car je pense que le documentaire est, à mon sens, l'essence même de l'histoire contemporaine, qui est en train de s'enregistrer, autrement parler, de l' histoire contemporaine et puis revenir sur la guerre de Libération, sur les histoires qui n'ont pas été racontées. Cela m'intéresse.
Un mot sur le tournage...
Le tournage durera une huitaine de jours à Alger, puis autant de jours, voire plus en France. Après, il y a tout le travail d'archives qui va être un gros boulot puis ce sera sept à huit semaines de montage. On espère qu'il sortira à la rentrée, à l'automne 2010. On fait le film pour France 2 qui l'a accepté.
La Chine est encore loin sort bientôt en France...
En effet, il sortira en salle en France, le 28 avril. Ce sera dans une bonne quinzaine de salles, pour l'instant. J'espère que ça va marcher.
La sortie a tardé, car on n'a pas eu les fonds qu'il fallait pour finir le film. On l'a fini, en fait, fin 2008. Comme les fonds et du ministère et de la télé ne sont jamais venus, il a fallu rechercher d'autres fonds à l'étranger pour finir le film d'où le retard pris.


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