img src="http://www.lexpressiondz.com/img/article_medium/photos/P121222-03.jpg" alt=""C'est urgent d'enregistrer cette mémoire"" / Mention spéciale du jury au Festival de Doha, Fidaï, du réalisateur franco-algérien. Damien Ounouri est passé jeudi dernier au Festival d'Oran du film arabe. Un film documentaire poignant qui revient sur l'histoire de la Guerre d'Algérie sous l'angle personnel, à savoir le parcours de son grand-oncle, El Hadi, qui avait rejoint à l'époque la Fédération de France du FLN. Réalisé par Damien Ounouri, Fidaï a été coécrit avec Linda Amiri, conseillère historique de la fiction, universitaire, spécialiste de l'histoire de la Fédération de France du FLN. Né à Clermont-Ferrand (France) en 1982, d'une mère française et d'un père algérien, Damien a étudié la théorie du cinéma à l'Université Paris 3 Sorbonne Nouvelle, développant sa pratique en autodidacte au sein du groupe de réalisateurs indépendants Li Hua Films. Son premier documentaire, Xia Jia rentre à la maison (2008), sur le cinéaste chinois Jia Zhang-Ke, a été sélectionné dans de nombreux festivals internationaux. Il a également réalisé plusieurs courts métrages et documentaires. Il est, par ailleurs, formateur dans des ateliers cinéma à destination de publics adultes et adolescents en Algérie et en France. Rencontre avec un jeune cinéaste engagé. L'Expression: Vous êtes à Oran pour présenter votre film docu Fidaï au Festival d'Oran du film arabe. C'est une histoire personnelle qui rejoint l'histoire de l'Algérie, et qui plus est, coïncide avec la célébration du Cinquantenaire de l'Indépendance de l'Algérie. Cela fait quoi de le présenter en Algérie dans ce contexte, d'autant que vous n'avez même pas eu l'aide du ministère de la Culture algérien pour le réaliser? Damien Ounouri: J'ai commencé le projet en 2008. Cela fait 4 ans. Et c'est malgré moi que cela a mis tout ce temps pour se faire. ça tombe très bien, car c'est le Cinquan-tenaire de l'Indépendance. Je suis donc très content. J'ai envie de le montrer au maximum, dans plusieurs endroits en Algérie. Il est passé à Alger (aux JCA, Ndlr) et il a été piraté à la Cinémathèque de Tizi Ouzou. La Cinémathèque a débuté en présentant une vieille version du film. Je ne sais d'où est-ce qu'elle sortait. En tout cas, ils l'ont projetée sans me demander mon avis. Et il y eut aussi une autre projection, cette fois officielle, à Oran. En lisant le générique de votre film, on se rend compte que vous avez été soutenu par pas mal d'organismes de pays arabes, sauf l'Algérie. Cela doit être quand même frustrant, non? Eh bien oui. Mais je ne suis pas le seul dans ce cas. La majorité des jeunes cinéastes d'ici ou d'ailleurs n'ont pas l'aide du gouvernement. Bien sûr qu'on a fait des demandes de production, et de postproduction qui ont été refusées. Mais je ne suis pas le seul. Pourquoi il n'y a pas Le Repenti à Oran? C'est peut-être le film le plus important fait cette année. C'est un film magnifique. Il y a quand même un certain souci... Moi je suis né et grandi en France. Je m'appelle Damien en plus. Je pense donc que la révolution c'est la chasse gardée. Ils étaient donc méfiants à mon égard. Et c'est pour cela qu'on ne nous a pas aidés. J'espère que pour les prochains, ils le feront. Moi j'aimerai bien faire des films avec de l'argent qui ne vient pas d'ailleurs. Il y a dans ce film très peu d'argent français. En France, c'est pareil, la révolution c'est tabou. Il n'y a pas eu le CNC. Heureusement qu'on a eu tout ces fonds du Moyen-Orient. On a eu Doha Film institute et le Fonds pour la culture et des arts du Liban, en plus de l'aide d'un producteur/ réalisateur chinois qui nous a aidés à finir le film car je le connaissais. J'avais fait un film sur lui il y a longtemps. Et grâce à ça, on a eu le budget pour tourner. On n'a pas été payés. On n'a pas été salariés, alors que c'est un boulot colossal. Là, le film existe et la chose à faire est de le montrer et le faire partager. Votre grand-oncle a aujourd'hui plus de 70 ans. Comment vous avez fait pour le convaincre de revenir sur ces pages douloureuses de son histoire très délicate et dont la famille ne connaît pas beaucoup de choses finalement. Et vous-même, comment vous vous y êtes intéressé? Je pense que c'est comme tous les Franco-Algériens, on a ce même background. On est tous travaillés par la Révolution algérienne. C'est vraiment le sujet en France qui nous concerne. Et on est tout le temps rattachés à ça. C'est mon père qui m'a transmis ça. A l'époque où mon grand-oncle est venu en France - il était dans la Fédération du FLN - mon grand-père avait huit ans. Donc il se rappelait d'elle. Il était toujours avec mon oncle. Ils allaient au foot ensemble, etc. Il se rappelait donc quand la police est venue pour l'arrêter, quand il lui rendait visite en prison. Il a tout son imaginaire sur ça. Il me parlait tout le temps de cet oncle en Algérie qui s'est battu pour l'Indépendance. Moi je l'ai rencontré au début des années 1990. J'avais dix ans. Il me fascinait. C'est quelqu'un de très humble et simple. Mais on sentait qu'il avait une vraie force de caractère. Après, dans mes films, je questionne toujours sur la mémoire, comment on enregistre, on la transmet. Donc c'était évident que cette histoire allait revenir par le cinéma. Evidemment, c'est une histoire familiale qui concerne ma famille, mais moi ce qui m'intéressait c'était de parler de la grande histoire avec des gens ordinaires. Mon grand-oncle est représentatif de la majorité des moudjahidine, c'est-à-dire ce sont des hommes simples qui, au moment de la Révolution étaient prêts à sacrifier leur vie pour l'Indépendance, pour la liberté. Une fois l'Indépendance acquise, ils ont repris leur vie normale. Ils ne sont pas devenus ministres. Mon grand-oncle continue à travailler à 72 ans. Je me suis dit, que tout ces hommes, grand-père, grands-oncles qui ne racontent rien, sont trop silencieux, malheureusement, en vieillissant ils sont en train de disparaître. On va perdre tout un pan de notre mémoire, donc c'est urgent d'enregistrer cette mémoire. J'espérais que les gens, en voyant ce film et mon grand-oncle, verraient aussi leur grand-oncle, leur grand-père ou leur père. C'était important ces scènes de reconstitution de crimes dans votre film? (entre le réalisateur et son grand-oncle, Ndlr)? Dans quel but? Et pourquoi vouloir s'insérer ainsi dans le cadre? Parce que pour moi le sujet du film c'est la mémoire et l'engagement. Après, c'est une question de cinéma. Pour moi, pour traiter la mémoire, il fallait toujours connecter sa parole aux vrais lieux comme cela s'est passé. Une fois qu'on est dans les lieux, on parle toujours des choses sur les lieux-dits, mais une fois qu'on était est les lieux, je me suis rendu compte que son corps ne me parlait pas. Il me racontait tous les règlements de comptes en trente secondes, mais il n'y avait pas la mémoire du corps. J'ai commencé à segmenter chaque moment, à le questionner pour avoir plus de détails, car cela faisait 50 ans qu'il n'en avait pas parlé, pas souvenu. Je savais que cela allait être progressif et qu'il fallait que dans ces scènes, je sois un peu dur, que je le pousse. Car ce n'est pas rien de tirer sur un homme, de le tuer. Donc, pour remonter à ça, les sentiments, les souvenirs,... C'est pour cela qu'à un moment il me faisait des gestes, mais je trouvais que ce n'était pas suffisant. Je lui disais: «Je vais venir avec toi, je vais faire le traître. Tu vas me diriger...» C'est ce qu'il faisait. Progressivement, l'idée c'était presque de la jouer comme une fiction, en temps réel. Et le spectateur voit ça et ressent combien c'est douloureux de refaire ce processus de mémoire. Et j'espère qu'il ressent combien c'est douloureux d'aller tuer un autre homme. Je ne suis pas là pour juger ou justifier. Ce qui m'intéresse c'est sa parole, de poser des questions. A un moment c'est concret, il y a nous-mêmes face à quelqu'un. On a un pistolet et on doit tuer. Est-ce si simple que ça? Justement, il y a une scène où l'on voit sa tentative de tuer le chef du MNA, dévoilant ainsi ces guerres intestines entre les fractions de l'Armée de libération algérienne. Vous n'aviez pas peur de déplaire ou plutôt d'avoir des représailles à cause de ça, disons de contrecarrer l'histoire officielle? Pour mon oncle et pour moi, ce n'est pas un souci. C'est plus un souci par rapport aux histoires officielles et ce qu'elles ont construit. Elles ont mis de côté le MNA. Ils ont mis de côté pendant très longtemps la Fédération de France du FLN. Il y avait plusieurs visions de l'Algérie indépendante. Une seule a été choisie. Les autres ont été mises sur la touche. Il n'y a pas de honte à dire que dans toute guerre il y a des luttes pour le pouvoir et ce n'est pas noble. C'est une guerre entre frères. Il y avait le FLN et le MNA. Moi je ne l'ai pas choisie. C'est l'histoire de mon grand-oncle. En France, ils se tiraient dessus. Il y a eu peut-être dix mille morts. Il fallait en parler, et ne pas cacher ça. Le producteur Hachemi Zertal, quand il a voulu montrer une version prémontrée à la télévision, il y a six mois, l'Entv lui a dit: «Le film est superbe, mais tu enlèves les passages sur le MNA». J'ai dit: «Non je suis désolé.» On n'enlève pas la moitié du film. C'est comme ça: il y avait des gens qui n'étaient pas d'accord. Pendant un moment, le MNA et le FLN s'opposaient par des joutes verbales dans les cafés. C'est au bout d'un moment qu'ils ont pris les armes. Ils se sont entretués. Le MNA a disparu. Le chef militaire du MNA a rejoint la France, Messali a été libéré. Les résistants de la dernière heure sont passés dans le FLN. On sait très bien pourquoi ça gêne. Moi je suis là pour parler de notre histoire, transmettre cela à la jeune génération, faire le lien avec les anciens. Il faut parler de ces choses de façon apaisée, c'est notre histoire, on ne peut pas la changer. Il ne faut pas en avoir honte. C'est une guerre. Il n'y a pas lieu d'avoir honte. Le film a obtenu un prix à Buenos Aires, vous savez et je suis très content qu'aussi loin où le film passe, les gens comprennent notre histoire, se reconnaissent dans mon grand-oncle, en tant que résistant. Car j'ai voulu faire le film sous un angle humain, être très proche de l'homme, en espérant que cela toucherait d'autres cultures, d'autres continents. Après, côté projet je vais plutôt aller faire une fiction, mais la révolution ça reviendra.